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La grande lutte de 2010 : leçons et perspectives

décembre 2010

Mouvement de l’automne sur les retraites :

un affrontement de classes majeur !

Revenir aux sources politiques : le bonapartisme sarkozyste, une tentative avortée du Capital…

En 2007, le capital monopoliste avait promu la candidature de « rupture » de Sarkozy, en raison de la crise de la représentation politique amplifiée par la victoire du NON au référendum sur le Traité constitutionnel européen. Forme de pouvoir que nous avons baptisée de « bonapartisme », c’est-à-dire le recours, dans la tradition française réactionnaire, à un « pouvoir fort », se voulant « au-dessus des classes », usant et abusant de la démagogie .

La présidence Sarkozy est l’échec caricatural de cette tentative du capital d’exercer sa dictature sous une nouvelle forme. Il s’agissait de renouveler la manœuvre réussie de De Gaulle prenant un million de voix au PCF et à la classe ouvrière en 1958, afin de créer un puissant courant corporatiste, de collaboration de classes. Si des voix ouvrières se sont portées sur la candidature de Sarkozy (« Travailler plus pour gagner plus », thème corporatiste par excellence), cela n’aura été qu’un feu de paille, la classe ouvrière a vite retrouvé ses marques de combat !

Sarkozy et Fillon conduisent le pouvoir le plus réactionnaire depuis Vichy, auquel ils empruntent nombre de traits dont le racisme. Tout le monde a en mémoire les rafles de Roms. Cette politique a pour objectif de satisfaire les diktats du sommet de Lisbonne (ratifiés par Chirac et Jospin) : recherche de l’extraction de plus-value absolue (allongement du temps de travail et de la durée de carrière), réduction drastique des dépenses sociales avec la RGPP, attaques contre le droit de grève, privatisations et rentabilité financière dans le domaine de l’école et de la santé, ratification au prix de la violation de la souveraineté populaire, par le Parlement de la nouvelle et jumelle mouture du Traité Constitutionnel Européen (TCE).

Une nouvelle phase explosive de la crise du système capitaliste, inaugurée à la fin des années 60, a amplifié le contenu réactionnaire sur toute la ligne, et aiguisé les contradictions de classe dans notre pays. Si bien que le régime de Sarkozy atteint des records d’impopularité (+ de 70 %) selon les instituts de sondage capitalistes.

Dans tous les pays de l’UE, l’aristocratie financière qui se fixait l’achèvement des politiques néo-libérales du Capital dans tous les domaines, se heurte au mécontentement que cette politique engendre. Avec la crise et les cadeaux faits aux richards et au Capital, la question centrale du combat de classe quotidien - salaires, emplois, temps libre - est surdéterminée par la question : qui doit payer la crise du capitalisme ?

Dans cet ordre d’idées, la question de la retraite à 60 ans à taux plein a constitué un affrontement de classes majeur après 1968, 1995, 2003, 2009. Ce qui nous oblige à réfléchir aux axes politiques sur lesquels repose le bonapartisme contemporain.

Une politique se voulant « au-dessus des classes » prend appui sur l’aristocratie et la bureaucratie ouvrières. En 2007, les éléments les plus droitiers et atlantistes du PS se sont ralliés au nouveau dispositif du pouvoir du Capital : Besson (rédacteur du programme du PS), Kouchner mais aussi Strauss-Kahn proposé par Sarkozy à la présidence du FMI.

Les directions syndicales appartenant à la CES, organisme relais des directives des multinationales dans l’UE, prônaient la collaboration de classe, via le syndicalisme d’aménagement et d’accompagnement avec pour méthode centrale : la concertation avec le pouvoir pour aménager « socialement » et amender les projets de contre-réforme. Qu’on se rappelle, les deux derniers Congrès de la CGT, où aucune analyse et critique de classe n’était faite du pouvoir Sarkozy !

La grande lutte de 2010, entre pressions de la base et entêtement de Sarkozy

Au printemps, quand le projet Woerth a commencé à être lancé, Woerth (après le départ de Darcos) était salué par les bureaucraties syndicales comme « un homme de dialogue » (sic !). Les directions réclamaient une « large concertation » pour améliorer le projet, la CGT droitisée voulant sa part du gâteau pour valider ses abandons et sa mutation réformiste. Il était significatif, dans cette optique, de promouvoir une journée d’action avec une grève « au carré » dans certains secteurs avec des mots d’ordre flous pour déployer sa « force » … et ouvrir les négociations !

Le but étant d’éviter l’affrontement de classes, ce qui réalisait les vœux du pouvoir (épargné globalement) et du PS, qui n’a pas encore désigné son candidat et qui dans les grandes lignes partageait les options de Woerth.

Un grain de sable allait enrayer le projet rêvé par les bureaucraties. C’est le désaveu massif de Sarkozy qui l’a conduit à chasser sur les terres du FN, à mener une politique clairement néo-pétainiste et à expulser Roms, travailleurs immigrés, à criminaliser ces populations et à réviser le Code de la nationalité, à casser progressivement toutes les conquêtes sociales du XXème siècle.

Fuite en avant qui s’est traduite par la volonté de Sarkozy, dans l’optique de 2012, d’apparaître, aux yeux des marchés financiers, comme le rempart du Capital contre les grèves !

D’autant que le PS, avec l’appui d’une partie de l’appareil d’État (justice – police) révélait l’ampleur du scandale Woerth. Dès lors, la concertation sur le projet n’était plus de mise pour le gouvernement.

D’où la tournée des plages de la CGT qui jugeait selon les mots de Bernard Thibault « le projet pas bon en l’état » donc aménageable.

On a donc la CGT, la CFDT, l’intersyndicale, qui veulent lancer une grande journée nationale, le 7 septembre pour que les négociations s’ouvrent.

Nous sommes encore dans le « syndicalisme de témoignage » : on pèse pour négocier sans volonté d’affaiblir par des slogans politiques …le pouvoir ; une sorte de cogestion des conflits.

Cette vision allait vite être mise en échec à la fois par l’entêtement de Sarkozy et par la combativité populaire.

Il est alors apparu que le gouvernement n’ouvrirait aucun espace à des amendements, ni une véritable reconnaissance de la pénibilité (base d’un compromis possible avec les directions CFDT et CGT) réduite au seul handicap ni exceptions sur les 60 ans puisque les directions réformistes, comme le PS, envisageaient le « 60 ans » couplé à un allongement de la durée de carrière.

Ce qu’aurait dû faire un véritable syndicat de lutte de classe

Durant l’été, il aurait mobilisé les entreprises les unes après les autres pour organiser une grève générale massive à la rentrée.
Le mécontentement et la colère de la base allaient bousculer également les directions syndicales d’aménagement, avec le succès des manifestations (jusqu’à 3 millions et demi), celui plus inégal des grèves ; mais surtout le refus exprimé du simple « témoignage » et la volonté populaire d’infliger une défaite à Sarkozy. Ce qui s’est exprimé par la critique d’un espacement trop grand entre chaque journée d’actions.

Pourtant, en septembre, le mouvement de luttes était porteur des mêmes handicaps.

Le mouvement en 2010 présente des caractères originaux qui le différencient des luttes survenues depuis 68.

C’est sans conteste le caractère massif et large s’étendant des travailleurs tant du privé que du public à la jeunesse populaire. L’héritage de la lutte victorieuse contre le CPE y est pour beaucoup, mais maintenant la jeunesse présentée par les médias capitalistes comme « égoïste, individualiste, dépolitisée » se montre généreuse, collective, solidaire avec les générations précédentes dans la défense des droits démocratiques et sociaux. C’est là, un atout précieux pour les luttes actuelles et à venir. Le mouvement, grâce aux journées de manifestations le samedi, s’est élargi aux travailleurs des PME, privés de fait de droits syndicaux et à des catégories non grévistes comme certains cadres et ingénieurs, inquiètes aussi du prolongement de leur durée de carrière.

Aspect totalement original (embryonnaire en 2003), les travailleurs ont relié la lutte pour la retraite à 60 ans à leur mécontentement général contre la politique du pouvoir, mais aussi ont dépassé par leurs forces et leurs luttes nombre de limites du syndicalisme d’aménagement.

Le mouvement s’est caractérisé par l’ampleur, la continuité et l’élargissement, en forgeant par delà les états-majors dépassés et bousculés, un front uni, objectivement dirigé contre la politique du gouvernement et du capital. Les manifestations étaient remarquables depuis le début et cette volonté de gagner s’est concrétisée par les grèves reconductibles dans certains secteurs, avec l’émergence d’une nouvelle avant-garde dans les raffineries, les cheminots, les transporteurs urbains, les éboueurs, les travailleurs portuaires. La classe ouvrière a joué son rôle directeur dans la lutte.

Toutefois, le mouvement a présenté quelques faiblesses, la difficulté à relayer et élargir les grèves reconductibles, une force insuffisante du mouvement gréviste chez les fonctionnaires.

Les grands mérites du mouvement

La majorité a su devant le refus du pouvoir, de toute discussion, porter de plus en plus le mot d’ordre de retrait du projet Woerth, de retraite à 60 ans à taux plein. Enfin les travailleurs les plus avancés ont mesuré que les manifestations importantes n’étaient pas suffisantes en soi pour faire reculer le pouvoir. D’où l’importance de la grève pour bloquer la production et frapper le capital dans ses profits, reste à étudier les formes pour ne pas laisser certaines catégories seules aux avant-postes.

Des expériences originales de grèves ont eu cours : grève d’une heure par roulement, ralentissement de la production, appels aux travailleurs et jeunes à tenir des piquets de grèves.

Restent plusieurs questionnements : Les difficultés financières pèsent certainement sur la compréhension de la nécessité de la grève générale, de plus les déclarations de Thibault "anti-grève générale" ont pu peser également chez les travailleurs les moins expérimentés.

N’aurait-il pas été plus efficaces de frapper fort, à partir du 7 septembre par une mobilisation et des grèves continues de façon à faire plier le pouvoir ? La continuité était aussi un élément important de la puissance du mouvement.

Enfin, et c’est le sens de notre appel aux syndicalistes et à leurs organisations à rejoindre la FSM : à l’heure où les impérialistes coalisent leurs forces (tout en restant concurrents), il est nécessaire de coordonner les luttes ouvrières et les grèves à l’échelle des Etats de l’UE.

Les illusions entretenues par le PS et les directions des centrales d’accompagnement sur les échéances parlementaires, n’ont pas eu d’effet démobilisateur, ce qui constitue une avancée. Après le retrait du CPE voté au parlement, les travailleurs sont de plus en plus nombreux à mesurer que ce que le parlement fait en force, la rue et les grèves le défont.

Certains parleront de nouvelle défaite, mais là le mécontentement des travailleurs fait qu’une étincelle peut déclencher un nouveau mouvement, rapidement.