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Karl Marx, La Commune : souvenons-nous...

samedi 16 mars 2013

A l’occasion du double anniversaire de la Commune de Paris (du 18 mars au 28 mai 1871) et de la mort de Karl Marx (14 mars 1883), nous proposons l’étude ci-dessous :

K. Marx a « découvert la loi du développement de l’histoire humaine », écrira son ami et compagnon de lutte, Friedrich Engels.

Marx possédait les qualités rares d’un savant et du combattant révolutionnaire, il consacra sa vie, non seulement à interpréter le monde mais à le transformer.

«  Marx était avant tout un révolutionnaire, contribuer d’une façon ou d’une autre à la subversion de la société capitaliste et des institutions d’Etat qu’elle a créées, contribuer à l’affranchissement du prolétariat moderne auquel il avait donné le premier, la conscience des conditions de son émancipation, telle était sa véritable vocation  ».

Après ses études et en raison de son engagement révolutionnaire-démocratique, Marx vint s’exiler en France dès 1844, où il fonda l’importante revue des « Annales franco-allemandes », écrivit « La Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel », « La question juive ».

Sa pensée déjà radicale, appelle à se prononcer pour «  La critique impitoyable de tout ce qui existe  ». En septembre 1844, Marx rencontre Engels à Paris, amitié dont Lénine clamera qu’elle fut parmi les plus fortes et belles dans l’histoire.

Marx se consacra à l’étude de la Révolution démocratique-bourgeoise française à la fois comme penseur mais aussi comme militant puisque son pays natal était gros d’une révolution de même nature qui mettrait à bas le féodalisme.

Cet exposé va étudier l’apport de Marx à l’étude du mouvement démocratique et ouvrier français, à ses luttes de classe et révolutions : 1848, 1871.

Le matérialisme historique et dialectique

«  Les hommes font leur propre histoire  ». Cette phrase très connue de Marx préfigure bien la révolution matérialiste introduite par Marx dans l’analyse de l’histoire.

Là où les penseurs jusqu’ici décrivaient l’histoire comme évènementielle et en rapport avec les décisions et actes des grands hommes : rois, chefs d’Eglise, grands condottieres ou influencés par Hegel, voyaient dans le développement de l’humanité la seule lutte des idées en marche vers la « Raison ». Marx remet les hommes au centre comme acteurs et finalités du processus historique.

Concept au pluriel et qui sera souvent révisé par l’opportunisme. Ce n’est pas l’homme, l’individu qui est agissant mais l’homme collectif, membre d’une classe sociale, travailleur inscrit dans le procès de production.

Principale force productive, les hommes transforment la nature, la société dans un mode de production déterminé avec ses rapports de production.

«  Mais ils (les hommes) ne la font pas de leur plein gré dans des circonstances librement choisies ; celles-ci ils les trouvent au contraire toutes faites, données en héritage du passé  ». (Les luttes de classes en France – p. 176 éd. Sociales).

Ainsi, les hommes agissent matériellement dans une réalité objective indépendante de leurs désirs ou de leur volonté. De cette analyse de Marx, nous tirons les leçons universelles suivantes : il faut pouvoir interpréter le monde, la réalité objective est connaissable. C’est là une différence avec des clercs qui obscurcissaient la connaissance humaine avec les « mystères divins ».

Cette réalité objective qu’aucune volonté ne peut abolir, peut et doit être utilisée pour réaliser les objectifs de classe de l’humanité laborieuse.

Postulat du matérialisme : si les hommes font leur histoire, les conditions dans lesquelles ils vivent jouent un rôle premier.

Le matérialisme historique fondé par Marx et Engels est donc la science de l’histoire des modes de production et des luttes de classe qui s’y déroulent.

Dans les modes de production qui ont succédé à la commune primitive de la préhistoire, certains groupes d’hommes, dans certaines conditions historiques, se sont accaparés les moyens de production : esclaves, terres, usines. Les rapports sociaux d’exploitation vont régir le lien économique avec « leurs » exploités.

«  Les rapports sociaux sont intimement liés aux forces productives  ». (K. Marx – Misère de la philosophie).

Ces rapports sociaux ou rapports de production vont découler donc de la division de la société entre exploiteurs : les détenteurs des moyens de production, et ceux qui en sont dépourvus : les exploités.

Les hommes vont donc se répartir en classes sociales, « groupes sociaux antagonistes dont l’un s’approprie le travail de l’autre ».

Le matérialisme historique est un matérialisme militant de Parti, dans la mesure où cette science est mise au service des exploités et opprimés dans leur combat contre l’exploitation.

Marx va donc utiliser le concept de lutte de classe découvert par des historiens bourgeois, (pour mieux souligner le chaos insurmontable, inconnaissable, selon eux, de la société). Ce qui se traduit au quotidien par la formule de résignation et de soumission à la classe dominante : « il y aura toujours des riches et des pauvres ».

Marx au contraire, part de l’idée vérifiée par la pratique sociale que les contradictions entre exploiteurs et exploités forment un antagonisme qui ne peut trouver sa résolution que dans le renversement puis l’élimination d’un des deux éléments de cet antagonisme.

Dans une « lettre à Weydemeyer » (1852) Marx écrit : «  Ce n’est pas à moi que revient le mérite d’avoir découvert l’existence des classes dans la société moderne, pas plus que la lutte qu’elles s’y livrent  ».

Le matérialisme historique et Marx singulièrement vont toutefois avoir le mérite historique de faire des luttes de classe et des révolutions selon l’expression imagée de Marx « La locomotive de l’histoire ».

Marx aussi montrera que la source matérielle des luttes de classe se situe dans les contradictions irréconciliables entre le caractère et le développement des forces productives de plus en plus sociales et les rapports de production fondés sur l’exploitation. Antagonisme qui engendre les conditions matérielles de la révolution des exploités.

Autre découverte, du moins concept remis sur pied, la classe sociale qui s’accapare les richesses produites grâce à son monopole de la propriété des moyens de production va devoir défendre et pérenniser son système d’exploitation contre les luttes de classe des exploités.

En effet, la classe sociale exploiteuse en raison de sa domination dans l’infrastructure (l’économie) va pouvoir dominer dans la sphère de la superstructure (politique – idéologie – juridique). Les exploiteurs forment la classe dominante qui va donc utiliser l’Etat national et son appareil pour défendre son mode de production.

«  L’Etat bourgeois n’est pas autre chose que la forme d’organisation que les bourgeois se donnent par nécessité pour garantir réciproquement leurs propriétés aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur  ». (Chapitre 1 « Manifeste du Parti communiste »).

Cette question de l’Etat comme organe du pouvoir (dictatorial) de la classe dominante, a été celle qui, à bien des égards, crée une ligne de démarcation entre marxisme et opportunisme, marxisme et anarchisme.

Prenons l’opportunisme des dirigeants sociaux-démocrates comme Bernstein, Jaurès, qui allaient substituer à la théorie de Marx et Engels, selon laquelle l’Etat est un organe de domination de classe et l’expression de la dictature (pouvoir politique) de la bourgeoisie sous le capitalisme ; la théorie d’un Etat où la bourgeoisie domine certes mais où la « démocratie » (sans contenu de classe) limiterait cette domination par le simple jeu électoral. L’Etat ainsi selon ce courant révisionniste serait l’expression du rapport de forces. Nous verrons combien cette analyse est une apostasie de la théorie de Marx tirant les leçons de la Commune de Paris, combien elle nuit au prolétariat dans sa compréhension de la nécessité d’une révolution prolétarienne pour vaincre le capitalisme.

L’opportunisme se manifeste souvent en premier lieu sur la question de l’Etat. Marx se battra contre certains de ses compagnons de lutte enclins à concevoir le marxisme sous l’angle du seul déterminisme économique, transformant ainsi le matérialisme historique en tentative de seulement interpréter le monde.

«  Les mêmes hommes qui établissent les rapports sociaux conformément à leur productivité matérielle, produisent aussi les principes, les idées, les catégories conformément à leurs rapports sociaux  ». (K. Marx – Misère de la philosophie).

Les idées dominantes sont donc celles de la classe dominante renforcée par sa main mise sur l’Etat et les institutions qui en dépendent.

Marx rejette cependant tout déterminisme qui conduirait la classe des exploités à l’impuissance. Le mouvement historique est régi par les contradictions internes propres à chaque mode de production. La classe des exploités va donc élaborer ses propres principes, idées à partir de l’exploitation subie dans les rapports de production.

Bien sûr, ce n’est pas toute la classe qui accède à la conscience de l’antagonisme avec la classe exploiteuse, certains ouvriers continuent de penser encore que « le patron leur donne un emploi ».

Cette conscience de l’antagonisme fondamental capital/travail prend des formes qualitatives. Tout d’abord, l’ouvrier résiste aux diktats de son patron, ce que Marx appelle la « conscience en soi » ; puis les ouvriers les plus avancés et plus combatifs vont au fur et à mesure de leurs luttes, acquérir la conscience que leur patron appartient à une classe sociale au pouvoir : la bourgeoisie et que son émancipation finale consistera à lutter pour la perspective de l’abolition du salariat et pour cela à renverser révolutionnairement le capitalisme. (Conscience pour soi).

Le matérialisme historique, loin des idéologies conservatrices, réactionnaires, réformistes considère que les révolutions ne sont pas des évènements « accidentels », « exceptionnels », voire des « anomalies », mais vont résulter du développement contradictoire des sociétés où s’opposent des classes antagonistes :

«  A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants (…) avec les rapports de propriété au sein desquels, elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une période de révolutions sociales  » (Marx-Engels. Etudes philosophiques. Editions internationales.1935.page 83).

L’étude des contradictions et antagonismes surgissant au sein d’un mode de production donné, forme précisément l’objet et la méthode d’investigation découverte par Marx et Engels : le matérialisme dialectique.

Marx opérait ainsi un redressement du concept hégélien de dialectique : «  Hegel défigure la dialectique par le mysticisme, ce n’en est pas moins lui qui a en a le premier exposé le mouvement d’ensemble. Chez lui, elle marche sur la tête. Il suffit de la remettre sur les pieds pour lui trouver la physionomie tout à fait raisonnable  » (K.Marx. Le Capital Editions sociales Tome 1 page 21).

Le matérialisme historique et dialectique appliqué à l’analyse des luttes de classes en France

La révolution de 1848.

L’ouvrage remarquable de Marx sur cet évènement «  Les luttes de classes en France  » traite de la période qui s’étend des journées révolutionnaires de février 1848 au coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte.

L’aspect qui retient notre attention ici est l’analyse de la montée de la révolution jusqu’à sa défaite provoquée par divers facteurs dont la compréhension a valeur universelle.

Marx montre tout d’abord que pour vaincre, une révolution a certes besoin de l’héroïsme et de la combativité de la classe ouvrière (les insurgés de 1848 n’en manquaient pas) mais aussi de l’existence de conditions matérielles et de facteurs subjectifs.

A cette époque, Marx et Engels sont de jeunes militants révolutionnaires, en train de devenir des communistes, mais en France, le socialisme utopique reste dominant. Ces facteurs objectifs (capitalisme encore ascendant) et subjectifs (absence d’idéologie prolétarienne indépendante) allaient opérer quant à la détermination de la nature de classe et des objectifs stratégiques du prolétariat insurgé de 1848.

Le modèle de 1789-1793 imprégnait tous les esprits y compris prolétariens. Beaucoup voyaient dans la révolution de 1848, la revanche d’une République largement mythifiée, par leurs soins. Marx développa une conception dialectique de l’expérience historique. Le recours à la commémoration des grands évènements du passé doit être critique et dialectique.

L’histoire ne se répète pas, parce que le développement des forces productives et le renversement puis la consolidation de nouveaux rapports de production (avant qu’ils deviennent à leur tour caducs), attestent que le monde est en perpétuel changement.

La France de 1848 n’était plus celle de 1793. De l’histoire, les révolutionnaires doivent tirer les enseignements, des mérites mais aussi des limites, avancées et défaites des luttes antérieures. En 1848, les références constantes à la « grande Révolution française » vont finir par duper la classe ouvrière et stopper son élan révolutionnaire.

Tout au long des journées insurrectionnelles de 1848, un défaut rédhibitoire se fait jour : l’absence de ferme direction révolutionnaire, la conciliation manifeste des socialistes avec les partis bourgeois et petits-bourgeois.

«  Le parti prolétarien apparaît comme un appendice du parti petit-bourgeois démocrate  » analyse Marx.

Cette indication de Marx, nous la considérons comme capitale, pour le mouvement ouvrier et communiste de France. D’erreur de lutte des insurgés de 1848, cette tendance de la classe ouvrière à se subordonner à des forces « républicaines », « démocratiques » petites-bourgeoises va se transformer en déviation opportuniste et même tendance lourde car répétée, tout au long du XXème siècle avec le parti socialiste (avant 1914, quand il était révolutionnaire) et le parti communiste français.

Les leçons de Marx sur la « mythification du passé » si elles ont été connues ou entendues, n’ont pas été assimilées par les dirigeants du mouvement ouvrier français. En France demeure une vision acritique de la Révolution démocratique-bourgeoise dans le mouvement communiste, réactivée dans les années 30 au moment du Front populaire.

Illusions d’autant plus vivaces, que la défense de la révolution de 1789-93 pouvait se targuer de constituer une lutte idéologique contre une bourgeoisie qui elle reniait sa matrice et son héritage devenu encombrants, lors de son passage à la « réaction sur toute la ligne » (Lénine).

Se fit jour dans le PCF, l’idée que la lutte révolutionnaire au XXème siècle se situait dans la continuité de la « grande révolution », « qu’il suffisait de la mener jusqu’au bout ». Cette pensée héritée de Bernstein et surtout de Jaurès, voyait l’avènement du socialisme comme la continuité accumulative et indolore des réformes sociales. Cette déviation atteint son apogée avec la phase eurocommuniste du PCF. Ces illusions perdurent dans le mouvement de reconstruction du parti communiste. Illusions qui ne manqueront pas d’être renforcées et justifiées par la sortie au moment de la rédaction de cet article du « livre noir de la révolution française » où cette dernière est présentée comme une succession de crimes et de terreur ! Cela nous oblige à suivre Marx dans la défense critique de notre passé révolutionnaire en évitant toute illusion sur la république bourgeoise et à montrer aux masses populaires que les monopoles ne supportent plus toute présentation positive de ces évènements historiques où l’initiative populaire et les luttes de masses ont laissé leur empreinte. A l’heure, où le capital se fixe l’objectif de réaction absolue, en détruisant toutes les conquêtes sociales du XXème siècle, ses idéologues considèrent que leur « pêché originel » est le renversement violent de la féodalité.

Cela dit ne tombons pas dans le piège, au nom du reniement de la bourgeoisie, à vouloir « continuer 1793 » alors qu’aujourd’hui, la classe ouvrière et le peuple-travailleur ont pour tâche, non de substituer une forme d’exploitation à une autre (comme en 1789 avec le renforcement du capitalisme) mais de supprimer toute exploitation, par une révolution socialiste, ce que commença la Commune et réalisa la grande Révolution socialiste d’Octobre 1917.

En 1848, le lecteur comprendra d’autant mieux les illusions existantes sur la république.

Au début de 1848, la monarchie constitutionnelle de Louis-Philippe mécontentait l’écrasant majorité de la population. La crise économique (maladie de la pomme de terre donc difficultés du ravitaillement), le déficit financier de l’Etat constituaient la base matérielle de la colère des couches populaires.

« C e n’est pas la bourgeoisie française qui régnait sous Louis-Philippe mais une fraction de celle-ci : banquiers, rois de la bourse, rois des chemins de fer, propriétaires des mines de charbon et de fer, propriétaires des forêts et la partie de la propriété foncière ralliée à eux, ce qu’on appelle l’aristocratie financière  » (K.Marx. Les luttes de classes en France. Edition numérique Université du Canada. Page 2).

Les fractions bourgeoises écartées du pouvoir, comme le capital industriel, soutenaient les républicains bourgeois. Les industriels guerroyaient « à coup de plume dans les derniers temps de Louis-Philippe, en faveur de l’industrie, contre la spéculation et son caudataire le gouvernement » (Ibid. Page 2).

Les républicains-bourgeois exigèrent une réforme du scrutin afin d’assurer une place ou la majorité au « parti industriel ». Louis-Philippe et son premier ministre Guizot refusèrent toute concession.

Ce rejet additionné au mécontentement va engendrer de véritables journées insurrectionnelles à Paris. Le 24 février, Louis-Philippe est obligé d’abdiquer.

La révolution s’est donc initiée sur le terrain démocratique (ce ne sera pas une exception) pour déboucher sur la question sociale. Loin des « révolutions pures » rêvées par le trotskisme, 1848 (comme beaucoup d’autres révolutions) voient s’entrelacer de multiples revendications contradictoires, portées par des classes et couches aux intérêts contradictoires.

Capital industriel et républicains bourgeois, monarchistes légitimistes soutien de la partie de la grande propriété foncière, écarté du pouvoir, petite-bourgeoisie écrasée sous le poids des dettes et enfin le prolétariat parisien qui assure le gros des troupes sur les barricades.

Rappelons qu’en 1848, le capitalisme est encore au stade pré-monopoliste, que la fusion entre capital bancaire et industriel pour former le capital financier, analysée magistralement par Lénine, ne s’est pas encore réalisée.

Les contradictions entre les diverses couches capitalistes attestaient, hier comme aujourd’hui, de la particularité du capitalisme français comme particulièrement usuraire, « tondeurs de coupons » (Lénine).

En 1848, les couches intermédiaires sont nombreuses et diversifiées. « La petite-bourgeoisie dans toutes ses stratifications, ainsi que la classe paysanne étaient complètement exclues « du pouvoir (souligné par Marx) » (Ibid. page3). La France de 1848 restait marquée par les survivances du féodalisme. « La bourgeoisie industrielle voyait ses intérêts menacés, la petite-bourgeoisie était moralement indignée, l’imagination populaire s’insurgeait » (Ib. Page 4).

Issu de l’insurrection populaire et de l’abdication du roi, un gouvernement provisoire se formait, fruit d’un compromis entre toutes les composantes de l’opposition.

Compromis qui ne pouvait occulter l’antagonisme d’intérêts entre des acteurs aussi divers. Dans ce gouvernement, la classe ouvrière était représentée par Louis Blanc et le prolétaire Albert.

Ce gouvernement provisoire «  était composé en majorité de représentants de la bourgeoisie. La petite-bourgeoisie républicaine par les gens du « national », l’opposition dynastique par Crémieux, Dupont de l’Eure ( …) Lamartine( …) n’était là au premier abord , pour aucun intérêt réel, pour aucune classe déterminée, c’était la révolution de février elle-même, le soulèvement commun avec ses illusions, sa poésie, son contenu imaginaire et ses phrases, mais au fond (…) par sa position comme par son opinion, (il) appartenait à la bourgeoisie  » ( Ib. Page 6).

La vie a confirmé la caractérisation de Marx, Lamartine s’opposa à toute proclamation prématurée de la République, avec des arguments bien souvent utilisés, plus tard, par la bourgeoisie française : «  Seule la majorité des français avait qualité pour le faire, (qu’il) fallait attendre le vote  » (Ib.Page 6). Lamartine mit plus tard toute son éloquence certaine, pour faire adopter le drapeau tricolore, comme emblème national, alors que les insurgés étaient favorables au drapeau rouge.

Les ouvriers n’étaient pas dupes de ces atermoiements, ils étaient prêts à engager le combat par la force des armes. Au nom du prolétariat, Raspail ordonna au gouvernement provisoire de proclamer la république, sinon il reviendrait à la tête de 20 000 hommes ! La bourgeoisie céda en moins de deux heures.

«  Dans les journées de juillet (1830. Note de l’auteur), les ouvriers avaient arraché par la lutte la monarchie bourgeoise, dans les journées de février (1848), ce fut la république bourgeoise  » (Ib. Page7).

La pression de la classe ouvrière avait d’autres conséquences, en rapport avec les revendications sociales, exerçant une certaine influence sur l’exécutif. Louis Blanc fit adopter deux mesures importantes : le principe du droit au travail et la création d’ateliers nationaux afin d’assurer un revenu à de nombreux ouvriers privés d’emploi.

La liberté de la presse et de réunion fut aussi proclamée ainsi que l’accession à la garde nationale, de tous les citoyens, l’esclavage fut aboli. Avancées indéniables mais avec un caractère encore largement formel.

«  Les revendications du prolétariat parisien, dans la mesure où elles dépassaient la République bourgeoise, ne pouvaient acquérir d’autre existence que la vie nébuleuse du Luxembourg » (palais où siégeait le gouvernement. Note de l’auteur. Ib. Page 8)

Marx tire des enseignements décisifs pour les futures révolutions prolétariennes : «  Les ouvriers croyaient s’émanciper aux côtés de la bourgeoisie (…) Dès qu’une classe qui concentre en elle les intérêts révolutionnaires de la société s’est soulevée, elle trouve immédiatement dans sa propre situation, le contenu et la matière de son activité révolutionnaire : écraser ses ennemis, prendre les mesures imposées par les nécessités de la lutte et ce sont les conséquences de ses propres actes qui la poussent plus loin. Elle ne se livre à aucune recherche théorique sur sa propre tâche. La classe ouvrière française n’en était pas encore à ce point, elle était encore incapable d’accomplir sa propre révolution  ». (Ib. Page8-9).

En 1848, les conditions objectives pour la victoire du prolétariat faisaient défaut. La classe ouvrière se trouvait disséminée, là où se trouvait les concentrations industrielles encore peu nombreuses. « Pas de solo funèbre », c’est ainsi que Marx formulait de manière imagée, la nécessité pour le prolétariat d’avoir des alliances de classe. Les couches intermédiaires, alliées possibles, reflet des modes de production antérieurs, limitaient leur colère à la dénonciation de la seule aristocratie financière. On comprend dès lors « que Paris ait cherché à faire triompher son intérêt à côté de celui de la bourgeoisie, au lieu de le revendiquer comme l’intérêt révolutionnaire de la société même et qu’il ait abaissé le drapeau rouge devant le drapeau tricolore.

Les ouvriers français ne pouvaient faire un seul pas en avant ni toucher à un seul cheveu du régime bourgeois, avant que la masse de la nation placée entre le prolétariat et la bourgeoisie, la paysannerie et la petite-bourgeoisie soulevées contre le régime, contre la domination du capital, ait été contrainte par la marche de la révolution à se rallier aux prolétaires comme à leur avant-garde »- (souligné par Marx Ib. 10).

La révolution défaite

Pour prendre l’ascendant sur la rue tenue par le prolétariat, la bourgeoisie allait recourir à la tenue d’élections l’Assemblée constituante fut élue en mai 48. Marx définit ainsi les objectifs de la clase capitaliste : «  Parachever la domination de la bourgeoisie en faisant entrer dans l’orbite du pouvoir politique, toutes les classes possédantes  ». (Souligné par Marx).

La bourgeoisie effrayée par la mobilisation et la force de la classe ouvrière, cherchait la parade dans l’unité de ses diverses fractions afin de créer un bloc bourgeois, ce qui impliquait, y compris, de tendre la main aux déchus de la veille, la fameuse aristocratie financière.

Aux élections, les républicains bourgeois l’emportèrent largement, les monarchistes légitimistes se rallièrent, la république était pour eux un moindre mal, à condition que la classe ouvrière fût écrasée !

Quant au prolétariat qui s’était battu en mars et avril pour consolider la révolution, il restait largement prisonnier des illusions républicaines dont nous avons parlé. «  Le prolétariat parisien était encore incapable d’aller au-delà de la République bourgeoise autrement qu’en idée, en imaginant que partout où il fallait passer à l’action, c’était au service de cette dernière qu’il agissait  » ( Ib.Page 18).

Le nouveau gouvernement écarte les représentants de la classe ouvrière. La bourgeoisie voulait aller plus loin et revenir sur les concessions sociales. Le 15 mai, des manifestants ouvriers envahirent l’Assemblée nationale, en vain. « Il faut en finir », par ce slogan l’Assemblée montrait sa volonté d’écraser le mouvement ouvrier.

Ce furent toute une série de décrets provocants qui obligèrent le prolétariat à opter « pour le combat décisif », dans des conditions défavorables. Les Ateliers nationaux en furent la victime toute désignée : salaire aux pièces (au lieu à la journée), renvoi des ouvriers célibataires.

«  Les ouvriers n’avaient plus le choix, il leur fallait ou mourir de faim ou engager la lutte. Ils répondirent le 22 juin, par la formidable insurrection où fut livrée la première grande bataille entre les deux classes qui divisent la société moderne. C’était une lutte pour le maintien ou l’anéantissement de l’ordre bourgeois. Le voile qui cachait la République se déchirait  ». (Ib. Page 19).

«  On sait que les ouvriers avec un courage et un génie sans exemple, sans chefs, sans plan commun, sans ressources, pour la plupart manquant d’armes, tinrent en échec cinq jours durant l’armée, la garde mobile, la garde nationale . »

La répression bourgeoise, conséquence de la défaite fut à la hauteur de la peur des capitalistes : 3 000 morts, 40 000 prisonniers. Marx rend hommage à l’héroïsme et au courage des ouvriers de Paris mais constate : « ce fut la bourgeoisie qui contraignit le prolétariat de Paris à l’insurrection de Juin. De là, son arrêt de condamnation, ses besoins immédiats avoués ne le poussaient pas à vouloir obtenir par la violence, le renversement de la bourgeoisie. Il n’était pas encore de taille à accomplir cette tâche ». (Ib. Pages 20-21).

Les insurgés de 1848 restaient prisonniers d’une forme « la République » sans appréhender son contenu bourgeois.

«  La plus infime amélioration de sa situation (à la classe ouvrière .Note de l’auteur) reste une utopie au sein de la République bourgeoise, utopie qui se change en crime dès qu’elle veut se réaliser  ». (Ib. Page 21).

Grandissait le mot d’ordre « renversement de la bourgeoisie ! Dictature de la classe ouvrière ! ».

«  En faisant de son lieu funéraire le berceau de la République bourgeoise, le prolétariat força celle-ci à apparaître aussitôt sous sa forme pure comme l’Etat dont le but avoué est de perpétuer la domination du Capital, l’esclavage du travail  ».

Marx ainsi démontre que la dictature du capital peut revêtir différentes formes : monarchie absolue et constitutionnelle, république mais son essence est une. Si les prolétaires avaient eu le courage de tomber les armes à la main, la petite bourgeoisie apparaissait comme le dindon de la farce, elle qui s’était abritée derrière le drapeau bourgeois.

«  Les petits-bourgeois s’aperçurent avec effroi qu’en écrasant les ouvriers, ils s’étaient livrés pieds et poings liés à leurs créanciers ». Dès lors, la République bourgeoise pouvait s’adonner au ‘ terrorisme bourgeois’ pour museler le peuple-travailleur  ».

Marx voyait à juste titre dans la révolution française de 1848 les prémisses de soubresauts révolutionnaires qui allaient embraser l’Europe.

«  Ce n’est que trempé dans le sang des insurgés de juin que le drapeau tricolore est devenu le drapeau de la révolution européenne, le Drapeau rouge. La Révolution est morte : Vive la Révolution !  ». (Ib. Page 24).

La Commune de Paris. « La guerre civile en France ».

«  Une haute appréciation de l’importance des périodes révolutionnaires dans le développement de l’humanité découle de l’ensemble des opinions de Marx sur l’histoire (…) à l’opposé des théoriciens de la bourgeoisie libérale, c’est justement dans ces périodes que Marx voyait, non pas un écart par rapport à la voie ‘normale’, non pas la manifestation d’une « maladie sociale » non pas les tristes résultats d’excès et d’erreurs, mais les moments vitaux, les moments les plus importants, essentiels, décisifs de l’histoire des sociétés humaines  ». (Lénine « contre le boycott » 1907. Ed. T 13 p. 22).

La Commune n’éclata pas dans un ciel serein mais elle fut le produit de l’ensemble des contradictions qui minaient le Second Empire et le développement capitaliste. Ce n’est pas par l’exposition d’un idéal « plus noble » ou d’une société idéale que le socialisme s’instaurera mais par la mise à jour, l’exacerbation et l’explosion des contradictions qui rongent le capitalisme.

La Commune illustre, oh combien, cette thèse du marxisme, vivante rupture avec le socialisme utopique français.

La France de 1870-71 a subi bien des changements économiques et politiques depuis la défaite ouvrière de 1848. Le bonapartisme s’est transformé selon la forte image de Marx de « tragédie en farce ».

« Napoléon le petit » (V. Hugo) avait su capter et détourner l’attention d’une partie du prolétariat à coups de mensonges démagogiques. La crise, la misère, l’autoritarisme, la guerre seront les étapes entremêlées de l’écroulement du Second Empire.

La guerre d’aventures avec la Prusse, voulue par Napoléon III se termina par une catastrophe militaire. La France est occupée, Paris encerclée par les troupes de Bismarck, l’armée en déroute. Le 4 septembre 1870, les ouvriers de Paris proclament la République tandis que l’essentiel du pouvoir d’Etat reste dans les mains de la bourgeoisie.

Le politicien bourgeois Jules Favre dans une lettre à Gambetta du « gouvernement de Défense nationale », euphémisme bien dans la ligne de la bourgeoisie française qui a l’art de travestir la réalité, écrit : « je ne me bats pas contre les prussiens mais contre les travailleurs de Paris ». C’est l’indice de ce que Marx pressent très rapidement, « le gouvernement de la France par des prisonniers de Bismarck » considère que la communauté d’intérêts des bourgeoisies française, allemande doit déboucher sur leur collusion armée contre le prolétariat. Bismarck avait exigé des élections législatives dans un pays sous la botte ! Ce sont les représentants des grands propriétaires fonciers qui gagnent la majorité. Thiers forme le gouvernement et proclame l’armistice.

Le Paris prolétaire, épuisé par la disette et même la famine, conséquence de 5 mois de siège, va refuser cette trahison nationale. Marx écrit de la France : « sa véritable incarnation est toujours le Paris armé, Paris qui l’a faite, Paris qui a subi pour elle un siège de 5 mois ».

Thiers incarne l’aile la plus réactionnaire de la bourgeoisie et fédère grands propriétaires fonciers et capitalistes de toute nature. Son mandat est d’écraser, éliminer selon ses propres termes la « racaille » !

Le pouvoir bourgeois prend des mesures financières drastiques clairement dirigées contre le prolétariat et les pauvres : suppression du moratoire sur les effets de commerce, les loyers et les dettes. Rappelons que l’écrasante majorité de la population est privée de ressources en raison de la guerre et du blocus de Paris. Thiers décrète de plus l’état de siège doublé de l’interdiction de la presse républicaine et socialiste.

Le 17 mars 1871, le pouvoir bourgeois envoie les troupes sur la capitale pour prendre possession des canons et armes de guerre détenus par les travailleurs de Paris.

La révolution monte, la troupe fraternise avec les insurgés, les généraux chargés de conduire la répression sont fusillés.

« A l’aube du 18 mars, Paris fut réveillé par ce cri de tonnerre : Vive la Commune ! ».

«  Le prolétariat (…) a compris qu’il était de son devoir impérieux et de son droit absolu de prendre ses destinées et d’en assurer le triomphe, en s’emparant du pouvoir  » (Journal officiel de la Commune- cité par Marx. La guerre civile en France Ed. Sociales 1946. Page 54).

On assiste donc à une dualité de pouvoir, les ouvriers et les couches populaires tiennent Paris, tandis le gouvernement réactionnaire bourgeois règne sans partage à Versailles.

La commune constituait une alliance de classe entre le prolétariat et la petite-bourgeoisie urbaine, entre révolutionnaires prolétariens et démocrates républicains, mais à la différence de 1848, la classe ouvrière occupait une position dominante.

« Travailleurs, ne vous y trompez pas (c’est le comité central de la garde nationale qui parle, le 5 avril), c’est la grande lutte, c’est le parasitisme et le travail, l’exploitation et la production qui sont aux prises
 » (Ib. Cité par Marx)

Certes à côté de cet appel, il y eut toutes sortes d’analyses erronées des buts de la Commune. Certains y voyaient une résurgence des communes autonomes du Moyen-âge, d’autres, toujours victimes des illusions sur la République, espéraient la renaissance de la Commune jacobine de 1793, mais la majorité parlait de République sociale et même de République des prolétaires.

L’Internationale Ouvrière de Marx et Engels était certes minoritaire dans la Commune, cependant son influence dépassait son importance numérique, des militants de l’Internationale comme Eugène Varlin, Léo Frankel, Theisz, tous membres élus de la Commune. Marx fait remarquer à juste titre qu’une révolution en cours n’a pas le temps de théoriser, dans le feu de l’action, il lui faut répondre avant tout aux tâches pratiques de la lutte.

«  C’est en général, le sort des formations historiques sociales entièrement nouvelles d’être prises à tort pour la réplique de formes plus anciennes et même mortes de la vie sociale avec lesquelles elles peuvent avoir une certaine ressemblance  » (Ib. P.54)

La révolution communarde avait mis à jour une découverte sur la base de sa pratique, découverte que théorisera Marx et qui deviendra un axiome du marxisme-léninisme :

«  La classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine d’Etat et de la faire fonctionner pour son propre compte  ». Cet héritage fondamental de la Commune est inoubliable même s’il le fut souvent en France.

La classe ouvrière doit briser l’appareil d’Etat bourgeois, ses organes de répression, son appareil judiciaire, pour lui substituer au cours de la Révolution, un « Etat de type nouveau » : le pouvoir du prolétariat et de ses alliés. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’Etat n’était plus l’instrument de l’oppression de la majorité par une minorité de possédants mais l’organe de défense des intérêts de la majorité des travailleurs. La démocratie prolétarienne est la plus haute forme de démocratie.

Cette vérité pratique, tellement dérangeante pour le capital et ses plumitifs, n’aura de cesse d’être vidée de contenu. Les courants opportunistes et révisionnistes au sein des partis révolutionnaires prendront le contre-pied des enseignements de Marx, en prônant la transformation pacifique, indolore du capitalisme au socialisme en utilisant la « démocratie » et l’appareil d’Etat du capital (sans analyse de leur fonction de classe), en niant ainsi que la démocratie bourgeoise est en réalité l’expression de la dictature de classe de la bourgeoisie.

Dans la Commune de 1871, ce nouveau type d’Etat va se manifester par les traits suivants, devenus critères généraux du pouvoir du prolétariat : les responsabilités étaient exercées par des militants ouvriers élus au suffrage universel, responsables de leurs actes et révocables à tout moment en cas de trahison de leur mandat. La division bourgeoise du pouvoir entre le législatif et l’exécutif tombe, à sa place se forme un corps unique agissant.

L’armée permanente de la bourgeoisie est supprimée et c’est le peuple en armes avec des officiers issus du prolétariat qui doit assurer la défense de la révolution.

Briser l’appareil d’Etat bourgeois signifie aussi rompre avec le bureaucratisme hérité de l’ancien régime. Les fonctionnaires étaient responsables devant la Commune et révocables s’ils trahissaient le mandat fixé.

Autre moyen de combattre le bureaucratisme, les dirigeants de la Commune et ses élus recevaient le salaire d’un ouvrier qualifié. L’appareil judiciaire fut renouvelé et pris le caractère d’une justice populaire avec l’élection des juges.

«  C’était là son véritable secret. C’était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le produit de la lutte de classe des producteurs contre la classe des accapareurs, la forme politique à la fin découverte sous laquelle on pouvait réaliser l’émancipation économique du travail  » (K.Marx. Ib. Page 55)

La Commune même si elle n’employa jamais cette expression pour désigner son action, fut la première expérience de dictature du prolétariat.

Ce concept avant de devenir une réalité matérielle, fut découvert par Marx, dès 1852. Dans sa correspondance avec Weydemeyer, Marx déclare : «  Ce que j’ai fait de nouveau, ce fut de démontrer (…) que la lutte de classe conduit nécessairement à la dictature du prolétariat. Que cette dictature elle-même ne constitue que la transition à l’abolition de toutes les classes et à la société sans classes . » (Cité par le Dictionnaire critique du Marxisme. Ed. PUF.1981. Page 267).

Les opportunistes ne retinrent de la commune qu’une manifestation de « démocratie pure » Engels dans sa préface à la troisième édition de la « guerre civile en France », défend les vues de son camarade de combat : «  Le philistin social-démocrate entre une fois de plus dans une terreur sacrée au mot de dictature du prolétariat, allons bon, voulez-vous savoir messieurs de quoi cette dictature a l’air ? Regardez la Commune de Paris. C’était la dictature du prolétariat  » (Ib.page 19).

Lénine s’inscrira dans la défense et le développement de l’héritage de Marx. Les chapitres III et IV de « l’Etat et la révolution » constituent une analyse complète de la question de l’Etat sous la Commune.

La Commune initiée sur le terrain démocratique et national, déboucha rapidement sur un contenu social révolutionnaire : Abolition du travail de nuit pour les ouvriers boulangers, suppression des amendes au travail, remise des entreprises aux associations ouvrières (forme de socialisation qui découlait du caractère exclusivement local de la Commune), annulation des dettes et impayés des loyers, séparation de l’église et de l’Etat avec confiscation des biens du clergé (à l’époque 40 % des immeubles et maisons).

Là où les anarchistes réclamaient la destruction de l’Etat que les ouvriers venaient d’édifier, Marx définit la forme d’Etat nécessaire à l’émancipation du travail au cas où la Commune serait parvenue à s’étendre à l’échelle de tout le pays. Beaucoup de communards se réclamaient d’une fédération décentralisée de type girondin, Marx était partisan d’un Etat centralisé régi par le centralisme démocratique, avec une large démocratie à la base et la centralisation dans l’application des décisions.

Les leçons de la Commune

Le 21 mai, l’armée versaillaise renforcée par les prisonniers libérés par Bismarck et au nombre de 100 000 hommes, rentre dans Paris. Va commencer ce qui est resté dans l’histoire comme le martyre des communards : la semaine sanglante.

«  La victoire (…) eût été durable si dès le lendemain (du 18 mars. Note de l’auteur), en masse, on fût parti pour Versailles où le gouvernement s’était enfui… la réaction eût été étouffée dans son repaire « ( Louise Michel. La Commune. Pages 141-142).

Marx partageait cette critique d’une des protagonistes les plus symboliques de la Commune. «  Par scrupule de conscience, on laissa passer le moment favorable  » (K.Marx lettre à Kugelmann. 12 avril 1871).

«  On ne voulut pas commencer la guerre civile, comme si ce « méchant avorton de Thiers ne l’avait déjà pas commencée, en tentant de désarmer Paris  » (K.Marx. La guerre civile en France. Page 80)

Ces hésitations, ce manque d’initiative militaire furent aussi critiqués par des membres de la Commune. Ferré de la Commune du 18ème arrondissement appelait avec ses camarades, « à la riposte contre Versailles).

Durant la dernière semaine d’existence de la Commune, les communards se battirent avec un courage et un héroïsme rarement vus. La défense de la Révolution était une lutte de classe à mort entre les restaurateurs bourgeois avides de revanche et de retrouver leurs privilèges et le prolétariat qui selon la formule de Marx était « monté à l’assaut du ciel ».

Jenny, la fille de Marx, témoigne de ce courage : «  Jamais encore des hommes ne se sont battus au nom d’un principe avec plus de courage et d’intrépidité  » (La 1ère Internationale pendant la Commune. Page 183. Ed. Russe).

La revanche des nantis fut particulièrement atroce, sans doute proportionnelle à leur peur rétrospective, leçon terrible parfois payée du sang de ceux qui dans la Commune lançaient des appels au « patriotisme » ou à la « raison » à la bourgeoisie. On vit des bourgeoises crever les yeux des prisonniers avec la pointe de leur ombrelle, les troupes versaillaises achever les blessés, parfois des enfants, à coups de baïonnettes. 70 000 parisiens furent faits prisonniers, beaucoup déportés, 30 000 communards furent fusillés, notamment au mur des Fédérés.

La Commune de Paris annonce l’entrée du capitalisme dans son lent déclin, sa phase ascendante est achevée, son mérite historique fut d’avoir réalisé la première révolution prolétarienne au monde, victorieuse durant 70 jours, d’avoir établi la première dictature du prolétariat.

La conclusion de Marx à son ouvrage la guerre civile en France est l’hommage le plus vibrant que l’on puisse adresser à la Commune : «  Le Paris ouvrier, avec sa Commune sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d’une société nouvelle. Le souvenir des martyrs est conservé pieusement dans le grand cœur de la classe ouvrière. Ses exterminateurs, l’histoire les a déjà cloués à un pilori éternel et toutes les prières de leurs prêtres n’arriveront pas à les en libérer  ».

Plus tard, Lénine dira que les révolutionnaires sont à bonne école quand ils tirent les leçons de leur défaite. Parmi les erreurs dont certaines découlaient du caractère inédit d’une révolution ouvrière au pouvoir, il faut retenir tout d’abord le refus de l’offensive continue. Lénine a démontré que lorsqu’une révolution n’est pas consolidée, tout atermoiement et toute hésitation peuvent conduire à la perte de la révolution. Marx reprocha à juste titre aux communards d’avoir fait preuve de trop de mansuétude à l’égard de leurs ennemis de classe, qui eux n’eurent pas ces scrupules. Autre facteur négatif, mais à caractère objectif, l’absence de liaison avec la campagne qui empêcha l’extension de la Commune, en dehors de quelques villes, à tout le pays. Troisième erreur, l’initiative des masses était en partie détournée par les combats entre les divers partis ou associations de la Commune, il manquait une ferme direction révolutionnaire reconnue des travailleurs. Marx et Engels, tirant les leçons de cet état de fait, feront adopter une résolution au congrès de l’Internationale Ouvrière, en septembre 1871 à Londres : «  Contre le pouvoir uni des classes dominantes, le prolétariat ne peut agir en tant que classe qu’en s’organisant en un parti politique distinct opposé à tous les vieux partis créés par les classes possédantes  ». Plus tard, après la victoire de la Révolution socialiste d’Octobre 17, Staline rendant hommage aux communards écrira «  C’est par là que la Révolution d’octobre diffère avantageusement de la révolution de 1871 en France, où deux partis dont aucun ne peut être appelé parti communiste, se partageaient la direction de la révolution  » (Staline les questions du léninisme Ed.1946 tome 1 page 103)

Outre ce facteur, n’oublions pas que les blanquistes (la force majoritaire) étaient tenants du socialisme utopique et sur nombre de questions, restaient prisonniers du républicanisme petit-bourgeois.

«  Pour qu’une révolution sociale puisse triompher- deux conditions au moins sont nécessaires- le niveau élevé des forces productives et la préparation du prolétariat. Mais en 1871, ces deux conditions faisaient défaut  » (Lénine A la mémoire de la Commune. Bureau d’éditions. 1931. Page 121).

Lénine dans sa préface aux lettres de Marx à Kugelmann note cette particularité de Marx «  Marx disait en septembre 1870 que l’insurrection serait une folie. En avril 1871, lorsqu’il vit un mouvement populaire de masse, il le suivit avec l’attention extrême d’un homme qui participe à de grands évènements marquant un progrès du mouvement révolutionnaire historique mondial  ».

Les enseignements de Marx sur les luttes de classes en France et sur les révolutions de 1789, 1848, 1871 constituent plus que jamais un héritage précieux à vivifier dans nos conditions actuelles de luttes, afin que le 21ème siècle soit celui de la liquidation de l’impérialisme et des révolutions prolétariennes victorieuses.

Troisième partie constitutive du marxisme avec l’économie politique anglaise, la philosophie allemande, le socialisme français présente une double caractéristique , «  La France est le pays classique de la lutte de classe  » (Engels) mais aussi celui où la « faiblesse théorique » (Lénine)a toujours constitué un obstacle à la victoire de la révolution.

Un défenseur de Proudhon dont Marx a tracé la (toujours valable) critique scientifique, fait remarquer justement, «  lorsque Proudhon monte, Marx en quelque sorte par un mouvement automatique descend  ».

La transformation du PCF en parti de type social-réformiste (la plus grande défaite subie par le prolétariat de France depuis la Commune), signifie la revanche de Proudhon, la domination de l’idéologie petite-bourgeoise dans le mouvement ouvrier.

Le programme du PCF est une série de lieux communs dont Proudhon pourrait être l’auteur : capitalisme divisé en « bon côté » (l’investissement productif) et « mauvais côté » (la spéculation), l’idée que la banque européenne soit au « service de l’emploi », sont bien des resucées des théories de Proudhon sur le crédit populaire. Toutes ces propositions n’ont qu’un but camoufler l’acuité des antagonismes de classe, refuser la révolution comme seule voie pour renverser le mode de production capitaliste.

Les communistes de France progresseront dans leur combat quotidien pour faire fusionner socialisme scientifique et mouvement ouvrier s’ils portent haut levé l’étendard du marxisme- léninisme, s’ils savent défendre la doctrine de Marx mais aussi l’assimiler, tout en l’enrichissant de leur pratique.

«  La doctrine de Marx est toute puissante parce qu’elle est juste. Elle est harmonieuse et complète, elle donne aux hommes une conception cohérente du monde, inconciliable avec toute superstition, avec toute réaction, avec toute défense de l’oppression bourgeoise  » (Lénine Œuvres choisies Tome 1 livre1 Edition en langues étrangères Moscou 1947. page 63).