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Contribution de l’URCF sur le fascisme

2000

Le Parti du Travail de Belgique organise chaque année pour le Premier Mai un séminaire communiste international.

(séminaire international de Bruxelles du 2 au 4 mai 2000)

CONTRIBUTION DE LA COORDINATION COMMUNISTE (URCF)

SUR LE FASCISME

Les leçons de l’expérience du PCF dans la lutte contre le fascisme

I/ - Contribuer à l’analyse de classe du fascisme

Lors de la première étape de la crise générale du capitalisme, où la classe ouvrière russe réussit l’exploit de rompre la chaîne impérialiste par la grande Révolution Socialiste d’Octobre 17 ; une vague révolutionnaire déferla sur l’Europe : Italie, Allemagne, Hongrie etc. tant et si bien que la classe capitaliste eut pour ultime recours la social-démocratie qui dans le sillage de sa trahison de 1914 oeuvra à écraser y compris par la répression armée, le mouvement ouvrier révolutionnaire !

En Italie, toutefois, les réformistes qui adhérèrent même un temps à l’Internationale Communiste (IC) et qui oscillaient entre seconde et troisième Internationale, ne purent donc jouer ce rôle d’auxiliaires armés du capital.

Le fascisme italien, dont certains leaders comme Mussolini, était issu du courant social-chauvin, apparut en réaction à l’organisation par la classe ouvrière des conseils d’usines (1919-20). Cette formation fasciste regroupait des ouvriers déclassés - briseurs de grèves - le lumpen-prolétariat, des éléments ruinés de la petite bourgeoisie et bénéficiait du soutien actif du patronat, de l’Etat major qui faisait même distribuer leurs tracts dans les unités militaires. Nous avons dans ce développement, une indication sur le rôle dévolu aux partis fascistes, constitués sur fond d’éléments paupérisés, ruinés, sans-emploi, formant des bandes recourant à la violence pour le bénéfice du grand capital. « Services » d’autant plus reconnus et rétribués, que la terreur déchaînée fit des milliers de victimes en Italie.

Tant par l’utilisation de la social-démocratie que par celle du fascisme, nous trouvons confirmation de la thèse léniniste sur les deux méthodes de gouvernement de la bourgeoisie monopoliste, en alternance et parfois simultanément : les réformes durant les périodes d’atténuation de la crise, lorsqu’il s’agit pour le capital de forger un consensus autour de ses intérêts et ainsi de duper, mystifier les travailleurs. La coercition en période d’aggravation de la crise organique du capitalisme, par la répression ouverte contre le prolétariat et ses détachements organisés. Dans le premier cas de figure, la social-démocratie joue un rôle décisif, dans le second, le fascisme est au premier plan. Toutefois les marxistes doivent se garder de toute interprétation et conception mécaniste, ces deux phases ne sont pas séparées par une muraille de Chine, des éléments d’interpénétration existent dans ces deux politiques, puisqu’au stade impérialiste, Lénine nous enseigne que « la réaction domine sur toute la ligne ». Ainsi la social-démocratie prône les réformes mais peut aussi déchaîner la violence, si la lutte conduit le prolétariat à poser la question de l’existence même du système capitaliste. De plus, le réformisme par sa politique du « moindre mal », par ses concessions au capital, a ouvert la voie à la victoire du fascisme.

La démocratie bourgeoise signifie donc utilisation de la violence si nécessaire contre les travailleurs. La social-démocratie, en conduisant une politique de réformes, de concessions (souvent temporaires) vise à sauvegarder et pérenniser la dictature du capital, la propriété capitaliste des moyens de production et d’échange, ainsi elle dupe, certes une partie de la classe ouvrière, par l’entremise de l’aristocratie et de la bureaucratie ouvrières, mais radicalise le prolétariat qui entrevoie à sa juste mesure le rôle de trahison joué par le courant réformiste, favorisant ainsi le renforcement de l’avant-garde communiste, ce qui à son tour va engendrer « la peur du communisme » de la part de certains éléments des couches moyennes (rôle de l’idéologie dominante) ce qui met en selle les bandes fascistes.

Dès son IIIème Congrès, l’Internationale communiste analyse ce phénomène nouveau que constitue le fascisme, dans les « thèses sur la tactique », il était indiqué que les communistes doivent s’appuyer sur « les éléments les meilleurs et les plus actifs dans les entreprises et les syndicats pour créer leur propre troupe ouvrière et leur propre organisation de combat pour opposer résistance aux fascistes » (cf. « les quatre premiers congrès de l’Internationale communiste. Edition Maspero - 1975 p. 103).

En résumé, il fallait donc, face à la terreur fasciste, forger et opposer la légitime auto-défense de la classe ouvrière. Malgré cela, le fascisme parvint en Italie à accéder au pouvoir, en combinant méthodes parlementaires et extra-parlementaires, la passivité de la social-démocratie, la division de la classe ouvrière furent aussi le garant de la victoire fasciste.

L’IC concluait : « Cette triste mais édifiante leçon des événements d’Italie doit profiter à tous les éléments conscients du monde entier ». (ibid p. 204). L’IC précisait sa définition du fascisme italien :« Le trait caractéristique du fascisme italien, du fascisme « classique » qui a conquis pour un temps tout le pays, consiste en ce que non seulement les fascistes constituent des organisations de combat contre-révolutionnaires et armées jusqu’au dent mais encore essaient par une démagogie sociale de se créer une base dans les masses, dans la classe paysanne, dans la petite bourgeoisie et même dans certaines parties du prolétariat ». (ibid
p. 157).

Cette démagogie sociale est un trait caractéristique du fascisme par rapport aux autres formations bourgeoises. Les programmes des partis fascistes ont recours à la phrase « radicale » voir « anticapitaliste ». Ces programmes ont pour fonction de conquérir une base de masse populaire puisque, parvenus au pouvoir, les partis fascistes oublient leurs promesses, leurs déclarations tonitruantes et conduisent une politique de réaction extrême ! Ainsi le premier programme des fascistes italiens promettait : « l’abolition de la monarchie et de la noblesse, la confiscation des profits de guerre, le désarmement international, la suppression de la bourse, le partage des terres aux paysans, le contrôle ouvrier dans l’industrie, l’exaltation des grèves, des émeutes pour le pain réclamait la pendaison des spéculateurs, l’occupation des usines par les ouvriers, la saisie de la terre par les paysans et dénonçait l’Etat comme l’ennemi ! ». (Palme Dutt « textes sur le fascisme » Ed. Ligne de démarcation 1981 p. 163). On sait que les marxistes-léninistes jugent d’une politique non par ses déclarations et ses intentions mais à la lumière du critère de la pratique sociale, mais on conçoit la difficulté pour les communistes antifascistes italiens à montrer tout le caractère démagogique, mensonger du programme fasciste pour le contrôle ouvrier et l’occupation des usines alors qu’en pratique, il s’attaquait par la violence aux grèves et aux comités d’usine !

Concernant l’analyse du phénomène fasciste, l’IC contredisait avec raison l’analyse de certains camarades selon laquelle, le fascisme était un phénomène propre aux pays de capitalisme retardataire, dès 1922, l’Internationale refusant de s’inscrire dans une lecture superficielle, avertissait : « Le fascisme n’est pas impossible non plus dans les pays comme la France et l’Angleterre » ; (les quatre premiers Congrès de l’IC p. 157).

Ainsi, le fascisme peut vaincre dans les pays de capitalisme développé, constituer un tournant vers la réaction extrême dans les Etats de démocratie bourgeoise. La victoire du fascisme en Allemagne allait montrer le bien-fondé de ces thèses. Nous devons aussi mesurer la pleine responsabilité des partis sociaux-démocrates dans la montée du fascisme.

De la crise aiguë tant du capitalisme que de la démocratie bourgeoise, vont surgir plusieurs conséquences, tout d’abord, la paupérisation de certains secteurs de la petite-bourgeoisie, victimes de la loi de concentration monopoliste, la ruine de la paysannerie pauvre, la présence des déclassés de toute sorte, y compris des repris de justice particulièrement nombreux sous la République de Weimar ; ensuite le rejet « détourné » de certains aspects du capitalisme identifié à « la finance », aux boucs-émissaires commodes pour le capital : juifs, minorités diverses, ce qui en pratique vise à diviser, scissionner les rangs du prolétariat. Le réformisme va aussi semer déception et désarroi, en s’appuyant et en renforçant sans cesse les illusions sur la « paix civile », le régime parlementaire, en orientant ou plutôt en limitant la lutte de classe à ce qui est tolérable par les monopoles. Le fascisme est donc aussi le résultat d’une déception des masses populaires devant l’incapacité de la social-démocratie à tenir ses promesses électorales et à améliorer la situation sociale. La démagogie anti-parlementaire propre aux partis fascistes est le pendant du crétinisme parlementaire du réformisme, l’un et l’autre encouragent leurs déviations réciproques. De plus, la social-démocratie a emprunté de nombreuses thèses à l’arsenal fasciste : théorie du « capitalisme organisé » (De Man, POB), du « corporatisme » (M. Déat - SFIO), de la collaboration de classe magnifiée dans un « Etat fort » (Les mêmes). Le Vème Congrès de l’IC a étudié le rapport d’interaction entre social-démocratie et fascisme :

« depuis longtemps déjà, d’aile droite du mouvement ouvrier, (les dirigeants sociaux-démocrates) dégénèrent de plus en plus en aile gauche de la bourgeoisie et par endroits en aile du fascisme ». (Résolution sur la tactique communiste - Vème Congrès mondial - Correspondances internationales - Montréal 1981 - p. 372).

La montée et la victoire du fascisme dans les années 30, soulignaient qu’il constituait une arme pour contrer puis écraser la montée du mouvement révolutionnaire, alors que les méthodes parlementaires de domination étaient jugées inefficaces pour assurer la pérennité du système. Le fascisme doit aussi être pensé dans le cadre de l’inégalité de développement du capitalisme, dans la lutte constante pour le repartage du globe entre monopoles et Etats impérialistes concurrents, le fascisme peut être caractérisé de réaction sans limites de la dictature du capital qui trouve son origine dans les réponses de l’oligarchie financière à la Révolution d’Octobre, à la croissance du mouvement communiste, à la montée du mouvement gréviste et révolutionnaire. Face à cela, pour assurer son profit maximum, la bourgeoisie monopoliste a eu et aura recours, et c’est là toute l’actualité de notre héritage communiste, au terrorisme ouvert et déclaré. Julius Fucik, le grand résistant tchécoslovaque avait raison de dire « hommes, soyez vigilants ! ». Dans l’analyse scientifique et matérialiste du fascisme, le mouvement communiste sut repousser les théories réformistes, sur le fascisme comme « mouvement de la petite-bourgeoisie », « revanche du capitalisme traditionnel sur les monopoles »etc. Ces théories en surévaluant certains phénomènes, la mise en mouvement des couches moyennes urbaines et rurales, confondait base de masse du mouvement et Direction de classe de ce même mouvement, si grâce à la démagogie sociale et nationale éhontée, le fascisme capte des fractions importantes du peuple, sa fonction politique est de placer ces couches conquises en subordination au capital monopoliste, à sa politique de rapines et de guerre. Le VIIème Congrès de l’IC (juillet 1935) allait apporter une étude exhaustive, tant de l’analyse du fascisme que des forces susceptibles de le vaincre. Le rapport de Georges Dimitrov est pour nous une œuvre classique du marxisme-léninisme, dont il convient de défendre l’héritage, non comme un dogme, mais comme guide pour l’action. Dimitrov insistait fortement sur les objectifs de classe mis en avant par la victoire du fascisme : « La bourgeoisie dominante cherche toujours plus son salut dans le fascisme afin d’appliquer des mesures spoliatrices d’exception à l’égard des travailleurs, de préparer une guerre impérialiste de brigandage, une agression contre l’Union soviétique, l’asservissement et le partage de la Chine et par ces différents moyens de conjurer la révolution » (p. 116). Dimitrov donne cette définition devenue classique du fascisme « dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du capital financier » : G. Dimitrov « L’offensive du fascisme et les tâches de l’IC pour l’unité de la classe ouvrière contre le fascisme » (Ed. du Progrès 1980 - p. 116).

Cette définition nous permet de saisir tant le contenu de classe du phénomène fasciste émanant de la fraction la plus réactionnaire de la bourgeoisie que la forme de ce pouvoir, la dictature terroriste ouverte, c’est-à-dire, la violence sans limites contre la classe ouvrière et ses organisations, alors que dans la démocratie bourgeoise, d’un côté, la bourgeoisie permet (jusqu’à un certain point), l’organisation légale du prolétariat en parti et syndicat, tout en le réprimant si besoin est. Ce n’est pas le simple recours à la violence qui différencie le fascisme de la démocratie bourgeoise, mais les objectifs de classe liés au déchaînement de cette violence : éradiquer toute forme d’organisation indépendante même la plus embryonnaire de la part du prolétariat, intégrer par la force, les éléments ouvriers aux organisations de collaboration de classe et de masse à caractère fasciste.

« L’arrivée du fascisme au pouvoir, ce n’est pas une substitution ordinaire d’un gouvernement bourgeois à un autre, mais le remplacement d’une forme étatique de la domination de classe de la bourgeoisie - la démocratie bourgeoise - par une autre forme de cette domination, la dictature terroriste déclarée » (ibid p. 119).

Aux avant-postes de la réaction bourgeoise extrême se trouvait « la variété la plus réactionnaire du fascisme, le fascisme de type allemand. Il s’intitule impudemment national-socialisme sans avoir rien de commun avec le socialisme. Le fascisme hitlérien, ce n’est pas seulement un nationalisme bourgeois, c’est un chauvinisme bestial. C’est un système gouvernemental de banditisme politique, un système de provocations et de tortures à l’égard de la classe ouvrière et des éléments révolutionnaires, de la paysannerie, de la petite-bourgeoisie et des intellectuels ..... le fascisme allemand apparaît comme la troupe de choc de la contre-révolution internationale ».

Le fascisme, allemand en tête, c’était la spoliation des travailleurs y compris sous la forme extrême de l’esclavage dans les camps de concentration hitlériens, la préparation et le déchaînement de la guerre impérialiste pour le repartage du monde, l’agression pour renverser l’URSS et assurer la victoire mondiale de la contre-révolution, l’écrasement des libertés et de la culture démocratiques au profit de l’obscurantisme moyen-âgeux.

II / - Le VIIème Congrès et la nouvelle tactique de lutte contre le fascisme (1935)

A partir d’une analyse scientifique et exhaustive du fascisme, il fallait élaborer une ligne tactique susceptible de le vaincre, tactique établie dans les conditions de l’offensive du fascisme ; Dimitrov établissait que momentanément, l’alternative n’était plus entre dictature du prolétariat et démocratie bourgeoise mais entre cette dernière et le fascisme. On sait que le trotskisme refuse de reconnaître cette particularité tactique et prône la ligne dogmatique qu’on peut résumer ainsi « les soviets contre le fascisme » rétrécissant la base de masse nécessaire pour écraser le fascisme.

En effet, le déchaînement de réaction moyenâgeuse n’est pas uniquement dirigé contre la classe ouvrière et son avant-garde mais contre l’ensemble des forces démocratiques y compris réformistes, doit-on rejeter ces couches sociales et politiques acquises à l’antifascisme sous prétexte de mots d’ordre prolétariens ? non, le devoir des communistes dans la lutte anti-fasciste est d’unir les couches moyennes urbaines et rurales, certains secteurs de la bourgeoisie lésés, au prolétariat dans l’accomplissement de la tâche démocratique consistant à renverser le fascisme.

Cette thèse se confirmera pleinement lors de la seconde guerre mondiale, le Front uni s’étendant même à certains Etats impérialistes, menacés par l’aspiration à l’hégémonie mondiale, du nazisme ! « seule l’activité révolutionnaire de la classe ouvrière aidera à utiliser les conflits qui surgissent inévitablement dans le camp de la bourgeoisie pour saper la dictature fasciste et la renverser ». (G. Dimitrov. Ib. P. 133 - souligné par nous).

Le ciment de ce large front antifasciste étant l’unité de la classe ouvrière, cette dernière s’étant trouvée scindée, désarmée sur le plan politique et organisationnel face à l’offensive de la bourgeoisie en Allemagne. Dimitrov analysait le processus de différenciation dans la social-démocratie, opéré par la victoire et l’offensive fascistes. La social-démocratie de droite réactionnaire, anticommuniste refusait toute unité d’action avec les communistes et capitulaient devant le fascisme, ainsi les dirigeants sociaux-démocrates allemands livrèrent même leurs camarades juifs à la barbarie nazie pour « apaiser » la « bête immonde ! ».

L’autre courant de la social-démocratie influencé par les masses ouvrières penchait à gauche et se montrait favorable au front antifasciste. C’est une leçon qui reste valable, les marxistes dans l’établissement de leur tactique doivent toujours tenir compte des processus de différenciation qui s’opèrent dans la démocratie petite-bourgeoise, dans le camp réformiste, pour isoler et vaincre le capital monopoliste. De même, la tâche de réalisation de l’unité syndicale, le travail chez les femmes et les jeunes revêt une importance considérable pour appliquer le mot d’ordre léniniste : « se trouver partout où il y a les masses ». Ce tournant tactique dut vaincre tant, dans les rangs communistes, les déviations de droite qui tendaient à limiter le mouvement aux tâches démocratiques, à perdre de vue la perspective prolétarienne, révolutionnaire en la détachant de la lutte démocratique que les déviations de gauche, qui au nom du danger réel de renforcement des illusions démocratiques, légalistes, parlementaristes, refusaient de bâtir un large front uni, s’en tenaient à des mots d’ordre stéréotypés, détournant de l’ « analyse concrète d’une situation concrète ». La tactique antifasciste établie par le VIIème Congrès de l’IC est dans le droit fil des enseignements de Lénine. « De même qu’il est impossible de concevoir un socialisme victorieux qui ne réaliserait pas la démocratie intégrale, de même, le prolétariat ne peut se préparer à la victoire sur la bourgeoisie s’il ne mène pas une lutte générale, systématique et révolutionnaire pour la démocratie ». (Lénine - OC - T. 22 p. 156).

Les communistes dans la lutte contre le fascisme prennent en compte ce fait décisif, la lutte pour les droits et libertés démocratiques sape les positions réactionnaires des monopoles pour qui la démocratie bourgeoise est un cadre trop contraignant ; les franges les plus réactionnaires du capital violent alors leur propre constitution pour assurer leur profit maximum et l’arme conçue à l’origine par la bourgeoisie contre le prolétariat, la « démocratie » en créant des aspirations non satisfaites dans les masses peut maintenant être utilisée contre son initiateur. C’est la dialectique de l’histoire. C’est pourquoi aujourd’hui, les libertés démocratiques bourgeoises que le fascisme veut supprimer ou que la démocratie bourgeoise limite et tronque ne peuvent être défendues, développées que par le prolétariat. « C’est vous, représentants des partis communistes et démocratiques qui devez relever ce drapeau (celui de la lutte pour les droits démocratiques, NDA) et le porter en avant si vous voulez rassembler autour de vous la majorité du peuple ». (JV Staline - « Discours au 19ème Congrès du PCUS - 1952).

III/ - L’expérience en France de lutte contre le fascisme

Il ne peut manquer de surgir dans chaque pays des variantes, des particularités pour l’établissement de la dictature fasciste, découlant des rapports de forces entre les classes à l’intérieur du pays et des contradictions interimpérialistes. En France, agissaient plusieurs groupes et partis d’orientation fasciste, parfois dans la rivalité et la concurrence. La ligue fasciste la plus importante « Les croix de feu » était dirigée par le Colonel de la Rocque et constituait une organisation para-militaire formée surtout par des anciens combattants. Ce groupe pratiquait la démagogie sociale en s’attaquant aux « gros ... » tout en étant largement financé par les monopoles ; mais cette démagogie n’était pas conduite avec autant de fermeté qu’en Allemagne ou Italie. Les « Croix de feu » organisaient surtout les couches traditionnelles de la petite et moyenne bourgeoisie, les petits possédants (ligue des contribuables avec 700 000 adhérents !). Les groupes fascistes cherchaient avidement l’appui de la hiérarchie de l’église catholique mais n’étaient pas encore en mesure de conquérir le pouvoir car la masse fondamentale des couches moyennes (nombreuses en raison du relatif retard dans la concentration capitaliste) était loin d’être acquise à la nécessité d’une dictature terroriste ouverte, ne serait-ce qu’en raison du poids des aspirations (et illusions) républicaines, héritage de la Révolution démocratique bourgeoise de 1789. Ces couches moyennes étaient alors largement influencées par le Parti radical qui ainsi assurait l’hégémonie du capital monopoliste via l’alliance avec les couches moyennes urbaines et rurales. Dès lors, les ligues fascistes allaient changer de tactique et, sur fond de la corruption généralisée de certains politiciens radicaux, de la crise de la démocratie bourgeoise, de scandales financiers multiples, dénoncer la « république des copains et des coquins ». L’affaire Stavisky, escroc qui allait mettre en péril l’édifice démocratique bourgeois eut un écho retentissant. De nombreux responsables de la IIIème République avaient bénéficié des largesses de ce spéculateur. Le mécontentement, l’exaspération face à ce scandale financier étaient grands dans la classe ouvrière et la petite-bourgeoisie, frappées par les mesures d’austérité. Parallèlement, cette crise aiguë du régime frappe de plein fouet la SFIO (parti social-démocrate français). Plusieurs courants s’affrontèrent. L’aile droite vira au social-fascisme : (Déat, Marquet), défense de l’ « Etat fort » (donc de l’Etat bourgeois fort), la classe ouvrière n’était plus considérée comme « révolutionnaire », « le changement radical viendrait des classes moyennes prêtes à « imposer les disciplines politiques financières et économiques que les circonstances commandent ». Pour ces éléments, il s’agissait de prôner la réorganisation du capitalisme selon des principes corporatistes : « ordre, autorité, nation », telle était la devise de ce groupe.

Dans cette différenciation, au sein de la SFIO se cristallisait une aile gauche (Fédération de la Seine) qui critiquait la direction pour son incapacité à répondre aux aspirations populaires et appelait à l’unité d’action des partis ouvriers. La direction (le centre) pratiquait l’atermoiement mais critiquait la passivité du SPD face à la victoire d’Hitler.

Finalement, les « néos-socialistes » (en fait sociaux-fascistes) furent battus, scissionnèrent et finirent dans la collaboration avec l’occupant nazi dans les années de guerre.

Cela montrait qu’en 1933, une partie des couches moyennes, de la petit-bourgeoisie était prête à abandonner le républicanisme pour céder à la démagogie fasciste. Début 1934, les ligues décidèrent de tenir la rue afin de renverser le système parlementaire. Des commandos (reçus comme il se doit) s’attaquèrent au siège du Comité Central du PCF. Le PCF appela les travailleurs à écraser les menées des ligues factieuses à défendre les libertés démocratiques. Le 6 février 1934, les ligues fascistes tentèrent de prendre d’assaut le Parlement par un véritable coup de force. C’était en fait la réédition de la « marche sur Rome » de Mussolini. L’émeute revêtit un caractère particulièrement violent. Les ligues remplirent une partie de leurs objectifs puisque le gouvernement Daladier démissionna, lui succède un gouvernement « d’union nationale » préparant la fascisation du régime. Le PCF allait organiser la riposte, déjà le 6 février des affrontements avaient opposé les communistes aux fascistes. Le 6 février, « l’Humanité » (organe du PCF) précisait : « tout doit être mis en œuvre dans les ateliers, sur les chantiers, pour convaincre les ouvriers socialistes et confédérés de la nécessité d’un front unique d’action puissant sur les mots d’ordre donnés par ailleurs par notre Parti ».

Le lendemain, un appel du PCF, de la CGTU, de la JC à tous les travailleurs était lancé, appelant à résister dans la rue aux ligues fascistes, à organiser un large front uni à la base avec pour mot d’ordre « contre les fascistes, contre la démocratie qui se fascise ». Les jours suivants, furent organisées des manifestations durement réprimées par la police. Le CC du PCF appelait à faire du 9 février une grande journée antifasciste et à rallier l’action du
12 février lancée par la SFIO (en diversion). Cette journée fut d’une immense portée pour le prolétariat de France en exprimant la nécessité de ne pas laisser la rue aux seuls fascistes ; de plus, beaucoup de travailleurs socialistes rejoignirent les cortèges, malgré l’interdiction de leur direction. Les cris « unité », « unité contre le fascisme » retentirent sur le pavé. Le 12 février, 5 millions de manifestants dans 26 villes s’unirent contre le danger fasciste.

Deux leçons sont à retenir de ces événements : le front unique prolétarien, ciment du front antifasciste s’est construit avant tout en bas, à la base grâce à la politique unitaire du PCF, créant ainsi les conditions pour obliger les leaders socialistes, soit à se couper de leur base, soit à rallier l’unité d’action. L’action unitaire et déterminée du prolétariat causa la défaite du coup de force fasciste. Georges Dimitrov saluait ainsi ces événements : « la conduite courageuse des prolétaires de France et l’héroïsme des ouvriers autrichiens qui le 12 février se sont révoltés les armes à la main contre le fascisme ont confirmé la justesse ... de la tactique de l’attaque que dans le monde entier, les Bolchéviks appliquent dans la lutte contre le fascisme ». (G. Dimitrov - l’Humanité mars 34).

La tentative de coup d’Etat fasciste avait été repoussée par la mobilisation populaire mais le danger fasciste demeurait, ses racines sociales n’avaient pas été extirpées.

La marche vers le Front Populaire en France

Durant l’année 34, le PCF fut amené à jeter les bases d’un large front antifasciste ouvert à la défense des libertés démocratiques et à la satisfaction des revendications ouvrières et populaires. Outre la SFIO, Maurice Thorez, Secrétaire général du PCF, lança aussi un appel au Parti radical, parti bourgeois dont l’électorat était composé de membres des couches moyennes et qui constituait la force dominante dans la IIIè République. Cet appel aux radicaux prenait en compte la nécessité d’arracher la petite et moyenne bourgeoisie à l’influence fasciste, en cela c’était une politique audacieuse mais qui présentait plusieurs dangers. L’IC s’interrogeait sur la capacité du PCF jugé encore faible et inexpérimenté (Secrétariat de l’IC - 15.10.34).

La conduite d’une si large alliance exigeait un Parti très armé et ferme sur le plan théorique compte tenu de l’influence du « républicanisme de gauche » (qui se traduit par la subordination du prolétariat à la bourgeoisie « démocratique » via la « défense de la République ») ; or la nécessité de forger un vaste rassemblement antifasciste exigeait que le PCF soit capable de diriger un mouvement où agissaient des forces politiques plus expérimentées, maîtresses dans l’art de la manoeuvre et de la duperie. C’était là toute l’ampleur et la difficulté de la tâche.

Ainsi, le PCF eut le grand mérite de lancer la formule de « Front Populaire pour le pain, la liberté et la paix ». Cette politique s’inscrivait dans la tactique de l’IC visant à défendre la démocratie bourgeoise pour stopper l’offensive du fascisme, tâche démocratique à relier à la perspective révolutionnaire socialiste quand le prolétariat ayant vaincu le fascisme passerait de la contre-offensive à l’offensive. Staline recevant M. Thorez, appuiera la mise en œuvre de la politique du PCF : « Vous avez trouvé une nouvelle clef pour ouvrir les portes de l’avenir ». (Cité par M. Thorez - « Fils du peuple » - Ed. Sociales 1970 - p. 102).

Sur quelques aspects théoriques de la lutte antifasciste

A l’évocation de ces événements, il faut se garder de toutes sortes d’interprétations, tant trotskiste que révisionniste. Le Front Populaire n’est pas un « choix réformiste » du Kremlin (version trotskiste) mais une nouvelle tactique élaborée dans les conditions des années 30, marquées par l’offensive du fascisme, par la disposition des forces de classe dans le monde, les effets du krach économique, le renforcement de la Dictature du prolétariat en URSS et le danger de guerre croissant pour renverser le socialisme, ces données objectives obligèrent les partis communistes à modifier leur politique, l’objectif central devenant d’éradiquer le fascisme dans tous les pays.

C’était là un détour obligé pour recréer les conditions objectives et subjectives de la révolution prolétarienne. Donc ni « trahison de la Révolution » (version trotskiste) ni « stade intermédiaire démocratique stratégique » (version révisionniste). Avec l’apparition de thèses opportunistes dans le MCI (fin années 50) allait se cristalliser la conception selon laquelle la tactique d’alliance avec la social-démocratie est valable en tous lieux et tous temps, en « oubliant » que le fascisme en écrasant toute liberté menace les masses populaires y compris des couches, soutien social traditionnel, du capitalisme comme l’aristocratie ouvrière, ce qui limita temporairement et relativement les effets de la scission du mouvement ouvrier entre réformistes et révolutionnaires dans les années 30 puis pendant la guerre antifasciste mais pas après. C’est pour cela qu’il faut analyser les tâches des communistes à la lumière de l’offensive du fascisme, sinon on aurait prôné par dogmatisme toujours les tâches prolétariennes de la Révolution, on aurait effrayé des alliés instables, on se serait séparé des couches moyennes ... et on aurait renforcé ainsi la base sociale du fascisme. Les communistes n’étant pas des aventuriers, ne pouvaient mener une telle politique.

Par contre, quand le fascisme fut vaincu, que les positions bourgeoises s’avérèrent plus fortes que celles de la classe ouvrière et de ses alliés, que la démocratie bourgeoise fut réinstaurée, la social-démocratie devint à nouveau le recours du système capitaliste, l’aristocratie ouvrière organisant de nouveau la scission du mouvement ouvrier, rendant impossible, sauf à marier l’eau et le feu une « stratégie » visant à « conquérir pacifiquement le pouvoir pour aller vers le socialisme », que précisément la social-démocratie a pour fonction de combattre !

La consolidation de l’unité antifasciste jusqu’à la victoire électorale de 1936

Les puissantes manifestations contre la « vie chère », les aspirations unitaires des masses, la tactique de Front Populaire du PCF eurent raison des hésitations et oscillations de la SFIO. Une plate-forme commune d’action fut adoptée en 1935. Parallèlement, l’unité syndicale progressait. La CGTU (syndicalisme révolutionnaire) était à l’origine de l’unification. Cette fusion entérinait un mouvement, une aspiration partis de la base, notamment des Fédérations comme celle des cheminots. Cette réunification constituait une grande victoire du prolétariat français, naissait alors une CGT de lutte de classe.

En janvier 1936, un programme commun du Front Populaire fut adopté par le PCF, la SFIO, le Parti radical : programme fondé sur une orientation démocratique, antifasciste, de défense des libertés et de la paix. Là aussi, succès indéniable qui avait été acquis au prise de réelles difficultés, la SFIO, dont certains membres étaient influencés par le trotskisme (Trotski recommandait à ses partisans d’adhérer aux partis sociaux-démocrates) prônait un « seuil de rupture avec le capital ». Théorie de gauche en apparence (et qui sera reprise par le courant révisionniste quelques décennies plus tard), qui prétend aller au socialisme, sans briser l’appareil d’Etat bourgeois, par de simples nationalisations, quelque chose comme une « révolution » sans révolution ! Evidemment, ces proclamations effrayaient les radicaux et mirent en péril la cohésion du Front Populaire.

Après une campagne électorale très dure, où le PCF avait avancé trois axes de lutte : dénonciation des « 200 familles » (l’oligarchie financière) et leur soutien au fascisme, la taxation des grandes fortunes présentée comme une mesure démocratique et l’appel à l’union contre le fascisme, les Partis du Front Populaire l’emportèrent mais sans véritable raz-de-marée puisque les partis antifascistes obtinrent 46 % des inscrits, les socialistes progressaient en sièges, les radicaux reculaient sensiblement, les grands bénéficiaires étaient les communistes qui doublaient leurs voix (1,4 millions) soit 15,2 % des suffrages exprimés. Le PCF se voyait renforcé grâce à son combat inlassable en faveur de l’unité antifasciste.

La nature de gouvernement de Front Populaire

Dans cette situation inédite, des hésitations apparurent pour définir l’attitude du PCF par rapport au gouvernement de Front Populaire. M. Thorez avait évoqué la participation, si les masses étaient prêtes à s’opposer par la force aux tentatives fascistes, ce serait en fait un gouvernement agissant dans une situation de radicalisation politique, la lutte antifasciste pouvant déboucher sur une situation révolutionnaire. Plus tard, sa position fut infléchie en évoquant la participation au gouvernement dans le cadre « d’agressions fascistes ».

Définissant les tâches du Front Populaire, Jacques Duclos estimait qu’il fallait un gouvernement de combat « s’attaquant aux privilèges des oligarchies financières et aux ligues fascistes », position juste puisqu’il ne peut y avoir de lutte conséquente contre le fascisme sans s’attaquer à ses soutiens financiers et politiques : les monopoles.

D’autres camarades prônaient un gouvernement de réformes sociales pour une « politique efficace de prélèvement sur les fortunes de la grande bourgeoisie » mais sous-estimaient l’exigence de combat et de dissolution des ligues fascistes. Dimitrov avait évalué ainsi le gouvernement de Front Populaire : « c’est avant tout un gouvernement de lutte contre le fascisme et la réaction », issu du front unique en bas, ne limitant aucunement l’activité du Parti communiste et prenant des « dispositions énergiques dirigées contre les magnats contre-révolutionnaires de la finance et leurs agents fascistes ». Rapport Dimitrov - Ed. Du Progrès 1980 - p. 173).

Pour cela, il fallait plusieurs conditions politiques :

1°/ - que le grand capital soit incapable d’enrayer le puissant essor de la lutte des masses

2°/ - que l’appareil d’Etat soit « désorganisé et paralysé »

3°/ - que la différenciation au sein des partis socialistes soit suffisamment grande pour qu’ils s’orientent toujours plus à gauche sous la pression communiste, pour des mesures radicales contre le fascisme : interdiction des partis fascistes, épuration des éléments fascistes dans l’armée, la police, la magistrature etc.

Toutes ces conditions avaient une exigence : l’initiative créatrice des masses à la base dont les communistes devaient être les meilleurs artisans. M. Thorez permit de dépasser le « schématisme abstrait » du PCF dans sa façon de poser la question du gouvernement de Front Populaire (grâce à la critique du Presidium de l’IC) et corrigea les erreurs. Après la victoire électorale (et pas sur la base d’un mouvement de masses dans les usines et la rue), on peut caractériser le gouvernement du « Front Populaire » en France (au-delà de sa dénomination) comme un gouvernement d’orientation et de transition vers le véritable gouvernement de Front Populaire (au sens de l’IC).

Dès lors et après discussion, la question de la participation gouvernementale ne pouvait se poser pour le PCF ! M. Thorez concluait ce débat en déclarant : « il faut constater que la victoire électorale du Front Populaire a posé la question du gouvernement sous un aspect nouveau. Le gouvernement ne sera pas un gouvernement de Front populaire au sens où nous l’entendons ... Ce ne sera pas non plus un gouvernement de simple coalition ou de collaboration socialiste avec les partis bourgeois ... parce que ce gouvernement se constituera sur la base d’un programme rédigé, adopté par les organisations du Front Populaire ... parce que ce gouvernement sera issu de la poussée des masses ». (M. Thorez - T. 12 Ed. Sociales 1953 - p. 19).

Les grèves de 1936 : la situation était-elle révolutionnaire ?

Des grèves à l’initiative des métallurgistes éclatèrent dans le pays, mettant en mouvement plusieurs millions d’ouvriers et de travailleurs. Le PCF joua un rôle considérable dans l’organisation de la grève. « Il serait impardonnable pour la classe ouvrière de démobiliser en se rapportant uniquement à la majorité parlementaire ». (L’Humanité - Mai 36). La grande particularité de ce mouvement fut l’occupation des usines, « contre la misère, contre la vie chère, pour l’amélioration continue des salaires et des conditions de travail ».

Le PCF dut exercer des pressions pour empêcher Léon Blum, le Premier ministre socialiste, de faire évacuer les usines par la force. Le patronat fut contraint à des négociations générales. Ainsi par sa lutte, la classe ouvrière conquit de nouveaux droits : hausse des salaires, amélioration des conditions de travail, conventions collectives (que l’actuelle Loi Aubry détruit !), durée hebdomadaire du travail à 40 heures, 15 jours de congés payés.

Tous les acquis du Front Populaire ont été obtenus par la lutte résolue du prolétariat.

Dans l’appréciation de ce mouvement existe toute une historiographie trotskiste ou gauchiste prétendant que le PCF « a loupé le coche de la Révolution ». Trotski déclarait : « Ce ne sont même pas des grèves. C’est la grève ... c’est le début classique de la Révolution ». (Lutte ouvrière -9.6.36) et s’égosillait sur le mythe de la « main de Moscou et de Staline qui écrase toute révolution » (Sic !). D’autres, anarcho-syndicalistes prétendaient : « si elle avait voulu, la CGT aurait pu prendre le pouvoir ! ». « Tout est possible » s’écriait l’aile trotskiste de la SFIO, leur chef Marceau Pivert ira jusqu’à déclarer : « Il faut en 3 jours chasser les complices du fascisme dans la haute administration, en 3 semaines dégager toutes les victimes de la crise économique de l’étreinte qui les étouffe, en 3 mois assurer une telle reprise de la vie économique, une telle élévation du niveau d’existence des travailleurs que l’immense majorité de la nation soit acquise au socialisme ». (Le Populaire - 12.5.36).

Ce Marceau Pivert était en fait un authentique prototype français de braillard gauchiste d’anarcho-syndicaliste, de réformiste car là aussi, il s’agit toujours de la « Révolution sans Révolution » ( !)

Dans ce mouvement de grèves, les ouvriers n’allaient pas jusqu’à la compréhension de la nécessité de renverser le capitalisme, même les mots d’ordre antifascistes passaient au second plan, l’aspiration (légitime) était de satisfaire les revendications économiques. On peut le regretter mais l’histoire se construit à partir de données objectives pas seulement avec les désirs subjectifs. Si le PCF s’était aligné sur les déviations gauchistes petites-bourgeoises, cela aurait signifié : « l’isolement de notre Parti, la revanche de la réaction, la débâcle du mouvement révolutionnaire de la France ». (G. Dimitrov - Cahiers de l’Institut M. Thorez n° 34 - p. 110).

Il manquait une condition majeure pour le passage à la révolution prolétarienne : le facteur subjectif, lorsque ceux d’en bas ne veulent plus du capitalisme et que ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner (cf. Lénine).

De plus, l’appareil répressif d’Etat restait intact, les masses n’étaient pas armées, les groupes fascistes s’organisaient clandestinement, la tâche de l’heure était d’écraser le fascisme, de forger des comités antifascistes, en bas, à partir du Front unique Prolétarien, ciment du Front Populaire étendu à la petite et moyenne bourgeoisie, sans cela le fascisme les aurait récupérées. N’oublions pas que l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste constituaient la base arrière solide des mouvements fascistes.

Si le mouvement ouvrier avait suivi les trotskistes, qui prétendaient avec leur chef : « la lutte contre la guerre, l’impérialisme et le fascisme exige la lutte sans merci contre le stalinisme ». (L’égalité - déc. 36), le fascisme l’aurait emporté en France !

De l’agonie à la fin du Front Populaire en France

Très vite, la SFIO et le gouvernement apparurent comme un frein au déploiement de la lutte antifasciste. Face au soulèvement fasciste en Espagne, par une véritable capitulation devant le fascisme allemand, le gouvernement prôna la « non-intervention » qui permit l’étranglement de la République Espagnole.

L’Internationale Communiste, l’URSS prirent leurs responsabilités internationalistes avec honneur par la formation de Brigades internationales pour sauver la démocratie en Espagne. Le PCF joua un très grand rôle dans l’aide logistique aux Républicains espagnols, 3 000 ouvriers volontaires, dirigeants du Parti, combattirent en Espagne, c’est là une des pages glorieuses de l’histoire du PCF.

Au fur et à mesure, le glissement à droite était continu. Dans cette situation difficile, le PCF commit plusieurs erreurs de principe. Après les événements d’Espagne, devant la « pause » prônée par le gouvernement Blum, le PCF lança le mot d’ordre d’élargir le Front Populaire en un « Front Français » afin : « d’éviter la perspective de deux blocs dressés irréductiblement l’un contre l’autre et aboutissant à une guerre civile dans des conditions qui seraient pour notre pays encore plus redoutable que pour l’Espagne, ne serait-ce qu’en raison des menaces d’Hitler ». « Un Front du Peuple de France, héritier et continuateur de la grande Révolution contre le front des agents de l’étranger ». Cette proposition constituait un certain aveu d’impuissance face à la paralysie du Front Populaire, le fascisme n’était plus présenté comme expression du capital financier le plus réactionnaire mais comme le produit d’une idéologie étrangère. En place d’une analyse de classe surgissait une étroitesse nationaliste. De plus, il y avait sous-estimation du rôle autonome des masses dans le processus antifasciste et singulièrement de la classe ouvrière, avant-garde dans ce combat.

Les conditions étaient difficiles, les mesures d’austérité gouvernementales détournaient les masses de la lutte, la résignation était forte, mais le PCF aurait dû oeuvrer à consolider le Front Populaire qui n’en était qu’à ses premiers pas, il y eut surestimation des résultats obtenus, le Parti, prisonnier de considérations électorales, n’encourageait plus le mouvement extra- parlementaire des masses, les grèves préparant la grève politique de masse, selon la formule du VIIè Congrès.

Ce mouvement n’était pas linéaire, les militants du PCF se battaient courageusement contre les fascistes au prix de la mort parfois, des manifestations, des grèves sectorielles étaient organisées, la lutte contre l’anti-soviétisme était conduite avec courage et conviction. Le PCF ne parvint pas cependant à réagir avec l’esprit d’innovation, d’audace, d’initiative qu’avait caractérisé sa ligne lors de la formation du Front Populaire.

Le Parti se laissa enfermer sur le terrain parlementaire, sans s’appuyer principalement sur les Comités d’action de base regroupant les militants des partis ouvriers et sans-parti. Le Front Populaire se construisait (mal) au sommet, sans racines populaires véritables. L’évolution du gouvernement du Front Populaire allait montrer que sans pression extra-parlementaire, sans organisation autonome des masses dans des comités, un gouvernement orienté vers le front antifasciste à l’origine n’incline pas automatiquement vers le Front Populaire (au sens de l’IC), c’est-à-dire, un pouvoir issu du mouvement de masse, à direction prolétarienne, uni aux couches moyennes urbaines et rurales, écrasant le fascisme et la réaction, et par la suite élevant la conscience des travailleurs jusqu’à la nécessité de la révolution socialiste et de la Dictature du prolétariat.

Le Front Populaire en France finit par ressembler aux gouvernements ordinaires de la bourgeoisie. Aux révisionnistes qui surestiment les formes parlementaires de lutte, nous rappellerons cette leçon, la Chambre où le Front Populaire était majoritaire votera tant l’interdiction du PCF en 1940 que les pleins pouvoirs à Pétain après la débâcle de Mai-Juin 1940. Aux gauchistes sectaires, il faut aussi rappeler que l’action des masses conduit à la différenciation au sein des partis réformistes, poussant leurs dirigeants à aller plus loin qu’ils ne le souhaitaient sous le feu de la lutte de classe avec certes l’espoir et des tentatives de revenir sur les concessions dès lors que la lutte n’exerce plus la pression suffisante.

Sur un autre plan, à la fin des années 30, le capital financier en France comptait moins sur le fascisme que sur les méthodes démocratiques bourgeoises ; par conséquent, l’aristocratie ouvrière redevint le recours indispensable dans sa fonction de soutien social du capitalisme, la social-démocratie s’orientait plus à droite et renouait avec une politique anticommuniste (le PCF fut interdit après le Pacte Germano-soviétique à l’initiative de la SFIO).

Quelques leçons de la mise en œuvre de la tactique de Front Populaire, en France

La Coordination Communiste engagée avec d’autres camarades après la liquidation du PCF, dans un processus de reconstruction d’un véritable Parti Communiste juge qu’il faut à la lumière du matérialisme, tracer le bilan de la politique menée par le PCF, dans la lutte contre le fascisme.

Dans les années 30, l’offensive fasciste nécessita un tournant tactique dans l’activité des Partis communistes, adapté à la contradiction principale de l’époque : antifascisme contre fascisme, démocratie bourgeoise contre dictature terroriste. Le PCF eut de grands mérites et joua même un rôle pionnier dans l’application et la mise en œuvre de cette tactique. Ses mérites nationaux et internationaux permirent même d’empêcher la prise du pouvoir par les fascistes en France. Ce fut seulement après la défaite militaire que le fascisme fut importé sur fond d’occupation nazie. Cependant dans la mise en œuvre de cette politique, plusieurs déviations anciennes du mouvement ouvrier français furent réactivées. La « Bolchévisation » du PCF avait engagé le combat contre ces tendances lourdes mais ne put les éradiquer en raison de l’offensive fasciste et du changement de conjoncture.

D’abord, il y eut la tendance à surévaluer les mérites de la Révolution bourgeoise de 1789, à s’inscrire dans sa continuité, d’où le développement d’une forme spécifique de penchants au nationalisme avec des phrases sur « la mission historique et universelle de la France », alors que l’avant-garde du mouvement démocratique et révolutionnaire se trouvait dans l’URSS de la Dictature du prolétariat.

Emergèrent des tendances marquées par l’étroitesse nationale et chauvine à faire découler la libération des colonies françaises, des avancées sociales dans la métropole, les peuples coloniaux étaient moins vus comme alliés de classe dans la lutte démocratique et révolutionnaire contre le même ennemi impérialiste, que comme alliés de la France du Front populaire contre l’Allemagne et l’Italie.

Dans les tâches démocratiques réapparut la tendance insuffisamment combattue par le PCF, à subordonner, diluer le mouvement prolétarien dans le mouvement démocratique, à ne pas lier tâches antifascistes et perspectives révolutionnaires plus lointaines, en restant prisonnier de la gestion quotidienne des événements.

Les illusions sur la démocratie bourgeoise furent grandes : légalisme, parlementarisme, électoralisme autant de marques de survivances social-démocrates. Le Parti fut dans l’incapacité, les données objectives jouèrent aussi, d’organiser durablement les ouvriers et les masses dans des Comités de base dans les usines et quartiers.

Faute de lien avec l’objectif stratégique : la révolution prolétarienne, le Front Populaire ne put devenir une nouvelle forme transitoire à cette révolution en France.

Toutefois, conclure que dès 1936 le PCF a cessé d’être communiste, c’est céder au nihilisme trotskiste. Par ses objectifs finaux réitérés à chaque Congrès, par son inscription dans les luttes de classe, par sa composition sociale, par son internationalisme (avec les défauts signalés !), le PCF devint un Parti de masse, assurant la domination du courant révolutionnaire sur le réformisme dans la classe ouvrière. Cela aussi est notre héritage.

Le PCF fit son autocritique sur ses erreurs. « Faute d’un réseau de Comités de Front Populaire élus démocratiquement dans les assemblées d’usines, de villages, de quartiers, les masses populaires ne purent empêcher les capitulations des gouvernements radicaux et socialistes (...) les efforts du Parti pour créer des Comités de base n’ont abouti qu’à des résultats partiels ... Le Parti n’est pas parvenu à rendre claire la nécessité de constituer un réseau de Comités véritablement indépendants. Transformé en une simple entente de sommet, le Front Populaire est devenu plus vulnérable aux pressions et manoeuvres de la grande bourgeoisie. (Histoire du PCF - 1964 - p. 347/48 - souligné par nous).

IV/ - Les enseignements de Dimitrov et de l’IC à la lumière de notre temps

Certains camarades estiment que l’origine du révisionnisme moderne se situe dans les travaux et les thèses du 7è Congrès de l’IC, nous ne partageons pas cette opinion qui confond tactique et déviations dans l’application de la tactique.

Les enseignements du 7è Congrès ont permis aux communistes de prendre la tête de la résistance armée au fascisme lors de la seconde guerre mondiale, de mettre en échec la guerre contre-révolutionnaire contre l’URSS, d’occasionner de larges progrès démocratiques et sociaux dans le monde entier, de favoriser les luttes et révolutions national-démocratiques dans les colonies, de réaliser des révolutions socialistes victorieuses lors de la seconde étape de la crise générale du capitalisme, permettant la formation d’un Camp socialiste dirigé par l’URSS, son PC(b)US avec à sa tête J.V. Staline. C’était là la plus grande conquête des peuples.

La contre-révolution en URSS et dans l’est européen a ouvert une période de réaction généralisée, le MCI a été quasi détruit, partout se pose la tâche de reconstruire ou d’unifier, sur des bases bolchéviques, les partis communistes.

S’est érigé un « nouvel ordre mondial » capitaliste dirigé par l’impérialisme américain en raison de son poids financier et militaire.

Trois puissances ou blocs impérialistes émergent et se livrent, via les sociétés transnationales, une guerre économique effrénée : Etats-Unis, Japon, Union Européenne. Les contradictions interimpérialistes s’aiguisent, créant les contradictions de guerres interimpérialistes ou de guerres d’agression contre les peuples et Etats qui s’opposent au « nouvel ordre mondial » : Irak, Yougoslavie. Dans tous les pays, ce sont les acquis sociaux, démocratiques qui sont dans le collimateur de l’impérialisme, les souverainetés nationales devenues un frein à la course au profit maximum sont liquidées pas à pas, par les impérialismes dominants.

La mise en œuvre de cette politique globale de l’impérialisme s’effectue principalement au moyen de la forme démocratique bourgeoise de la dictature du capital par l’entremise, notamment en Europe, de la social-démocratie, des partis révisionnistes devenus sociaux-réformistes. L’aristocratie, la bureaucratie « ouvrières » jouent un rôle décisif pour intégrer la classe ouvrière aux objectifs du capital.

Cette démocratie-bourgeoise sur fond de crise aiguë du système capitaliste reste plus tronquée, limitée que jamais, « La bourgeoisie est devenue plus réactionnaire » disait Staline en 1952 au 19è Congrès du PCUS, « les libertés réelles ne sont accordées qu’aux détenteurs de capital » ; le combat pour les libertés démocratiques est donc plus d’actualité que jamais. Compte tenu de la défaite majeure subie à la fin du siècle par le prolétariat, donc de l’absence (globalement) de danger révolutionnaire, le capital financier n’a pas besoin pour l’instant d’avoir recours au fascisme. Toutefois, au fur et à mesure du développement des luttes anticapitalistes, antiimpérialistes, le danger d’offensive fasciste peut se concrétiser et passer au premier plan avec l’objectif d’éradiquer par la terreur, le mouvement ouvrier. La particularité de notre époque est que le processus de fascisation dont la base est la crise économique, processus à certains égards différent des années 30, s’appuie moins sur les bandes armées d’éléments déclassés (même si elles peuvent jouer un rôle sinistre) que sur le rôle assigné aux forces armées et de police professionnalisées dans beaucoup de pays et orientées vers la répression intérieure, l’exemple du Chili peut se répéter y compris dans des pays de capitalisme développé. Mais pour l’instant ce dispositif est en réserve, constituant une épée de Damoclès sur le mouvement révolutionnaire et démocratique. Processus de fascisation qui a ses caractéristiques politiques avec la montée du vlaams blok, de Haider ou de Le Pen, ce dernier ayant été véritablement promotionné par le Parti socialiste Français, de façon, en agitant la peur du fascisme, à battre la droite aux élections, à cacher aux masses, le rôle moteur joué par les sociaux-démocrates dans la politique réactionnaire actuelle. La fascisation, ce sont les campagnes idéologiques permanentes visant à détruire les cultures nationales et démocratiques pour diffuser l’ « American Way of Life » abrutissant et obscurantiste ; ainsi que la criminalisation du communisme avec l’équation fascisme = communisme, Hitler = Staline, thèses devenues officielles dans les manuels scolaires en France.

Sommes-nous proches d’un tournant avec les événements d’Autriche ou la politique de Poutine en Russie ? en tout cas la vigilance antifasciste s’impose tout en portant des coups au social-réformisme, au néo-libéralisme, avec leurs ravages.

Là où le fascisme s’exerce ou s’exercera, nous pensons que les enseignements de Dimitrov et de l’IC pourront servir de guide pour l’action, pour former de larges coalitions antioligarchiques et antifascistes sous la direction de la classe ouvrière sur la base du processus de différenciation qui ne manquera pas de s’opérer dans les rangs des couches moyennes, des intellectuels, des partis réformistes, menacés d’une dictature terroriste ouverte.

Reconstruire le mouvement communiste international c’est aussi se réapproprier notre héritage théorique abandonné par le révisionnisme et le faire vivre dans les conditions de notre temps !

Jean-Luc Sallé

Coordinateur national de la Coordination Communiste

Le 24 avril 2000